Idée bizarre: transposer "Lady Macbeth du district de Mzensk" {de Nicolai Leskov, (1865), publié par Dostoïevski}, dans l'Angleterre victorienne. Que ceux qui ont lu le roman de Leskov lèvent le doigt! Bien sûr: on ne le connait que par le magnifique opéra que Chostakovitch en tirera. A priori, deux univers si différents... Mais il ne faut pas s'étonner que le réalisateur, William Oldroyd, vienne du monde du théâtre classique: son film est parfaitement théâtral.... Remarquons qu'il a été plus fidèle à Leskov que Chostakovitch. Celui ci voulait faire un opéra social, politique, dénonçant le destin des femmes opprimées dans la Russie tsariste. Il voulait donc que sa Katerina, quelques soient ses actions, apparaisse avant tout comme une victime. Or, une femme qui tue un enfant cesse de trouver chez nous, spectateurs, compréhension et empathie. Chostakovitch a donc "oublié" le meurtre de l'enfant que Oldroyd replace dans toute sa crudité et son horreur. Rappelons en passant que, malgré cela, Staline n'avait pas les mêmes notions que Chostakovitch de la représentation d'une femme russe.... et que l'opéra fût promptement interdit. Chostakovitch en fit une deuxième version, édulcorée, Katerina Ismailova, qui ne fut représentée à Moscou que largement après la mort de Staline.
La transposition va donc être hardie et il est évident que le film que nous voyons est un film de théâtreux, animé par une recherche constante d'esthétique. Et, effectivement, tout est beau; chaque séquence est cadrée comme un tableau. Les étoffes sont magnifiques....
Katerine, donc, apparemment une très jeune fille, est mariée (vendue) -ce qu'elle semble accepter avec beaucoup de docilité. Son beau père, Boris -la fidélité au roman va jusqu'à respecter les prénoms des protagonistes.... (Christopher Fairbank) est une brute, doublée d'un tyran; son mari, Alexander (Paul Hilton) est une brute, doublée d'un impuissant. De plus, il déteste son père.... on imagine l'ambiance dans ce château battu des vents. On la cloître à la maison. Elle est d'une passivité étonnante. A quoi pense t-elle, assise au centre de son canapé Chesterfield, dans le déploiement de sa magnifique crinoline bleue -image récurrente? Est elle stupide? Sans doute. Il y a quelque chose de bovin chez Katerine (ce qui ne veut pas dire qu'elle soit laide! la belle déesse Junon n'avait-elle pas des yeux de vache?) Il est évident que Florence Pugh restitue admirablement l'opacité de l'héroïne. Voila une actrice qu'on retrouvera sûrement souvent..... A côté d'elle, il y a cette femme de chambre muette, Anna (Naomie Ackie) qui est, elle aussi, un personnage très difficile à percer.
Jusqu'au jour où, en l'absence des hommes de la famille, Katerine rencontre le nouveau palefrenier, Sebastian (Cosmo Jarvis), avec qui elle connait une passion sexuelle dévorante. Elle n'a alors plus aucune retenue, s'exhibant avec Sebastian jusqu'à lui faire porter les vêtements du mari et dîner avec lui à la table des maîtres. Tout cela ne peut que mal finir, quand ceux ci reviendront. Katerine est comme un animal, qui n'obéit qu'à ses passions animales et est prêt à dévorer tout ce qui se trouve en travers de son chemin...
C'est beau, mais cela nous laisse assez longtemps relativement froids, jusqu'à ce que la violence la plus extrême s'introduise dans cet univers hiératique. En tous cas, ce portrait de femme monstrueuse restera comme quelque chose d'inégalé dans l'histoire du cinéma.