Film d’ouverture de la Semaine de la critique 2018 à Cannes, ‘’Wildlife : une saison ardente’’ est le premier film du surprenant acteur Paul Dano. Adapté du livre de Richard Ford, le film est scénarisé par Paul Dano, mais aussi par Zoe Kazan, fille du scénariste Nicholas Kazan et petite-fille du réalisateur Elia Kazan (quelle famille!).
L’action se situe dans les années 1960. Joe Brinson (Ed Oxenbould, révélé par ‘’The visit’’ de Night Shyamalan) est un adolescent plutôt solitaire. Son père, Jerry Brinson (Jake Gyllenhaal, aussi producteur du film) est un homme à tout faire sur un terrain de golf. Sa mère, Jeanette Brinson (Carey Mulligan) est femme au foyer. Tout va pour le mieux dans cette famille, fraîchement arrivée dans le Montana, une région où les incendies sont fréquents. Tout bascule le jour où Jerry est injustement licencié. Joe va ainsi assister à l’éclatement et au déchirement de ses parents.
Tout allait si bien dans la vie des Brinson. Dans cette banlieue bien proprette du Montana, les trois vivaient paisiblement. Jerry apprécie sont boulot et aime discuter avec les clients, Jeanette aime sa condition de femme au foyer. Quand à Joe, s’il n’apprécie pas vraiment jouer au foot, il obtient en classe d’excellents résultats. Et puis, tout explose. Ce que va filmer Paul Dano, c’est une famille, à priori en parfaite symbiose qui va imploser. Il y a un premier temps où on reconnaît le type de film qu’est ‘’Wildlife’’ : un Drame avec un grand d, le genre de film dont les américains avaient le secret. Et l’ont toujours d’ailleurs : à première vue, le sujet du film, ses environnements et son époque auraient pu plaire à un Todd Haynes (le réalisateur de ‘’Loin du paradis’’ et de ‘’Carol’’). Mais Paul Dano se démarque de Todd Haynes avec le ton de son film. Il y a toujours chez Haynes un aspect majestueux, le réalisateur travaillant à l’extrême la beauté de la photographie et du décor. Dano lui choisit plutôt une certaine sobriété esthétique car son but est d’aller droit au coeur du drame, sans tabou ni chichis. Il ne s’embarrasse pas de préciosité esthétique. Et s’il peut accorder de l’importance à son décor, Paul Dano (en tant qu’acteur, il est bien placé pour le savoir) sait que les plus fortes émotions naissent le plus souvent grâce aux visages de ses acteurs. Par ailleurs, Paul Dano opte pour un point de vue unique qui est celui de Joe. En effet, tout le film est vu à travers les yeux de ce jeune adolescent. Et il faut prévenir le spectateur, cette idée offre un rendu final très rude car il y a quelque chose d’insoutenable à assister au délitement de ce couple à travers les yeux de l’innocent, de la victime. Mais si être collé à cette jeune personne est parfois dur à supporter, c’est là le meilleur moyen de véhiculer l’émotion. Cette émotion, s’instillant progressivement vient donc de l’intimisme de la mise en scène et du scénario. La première dispute du film entre Jeanette et Jerry ? Elle se fait hors champs, Joe étant à ce moment-là dans son lit, n’entendant que les voix de ses parents
. Les dangereux incendies contre lesquels Jerry va lutter ? On les verra seulement quand Joe les regarde, terrifié.
‘’Wildlife’’ est un film de regard, de contemplation. Mais il ne s’agit pas d’un regard sur la nature (comme c’est souvent le cas avec les films dits ‘’contemplatifs’’), mais d’un regard sur l’homme. Certes, les environnements sont magnifiques, mais avant tout, le regard, c’est celui que porte de Joe sur ses parents. Paul Dano laisse souvent durer ses plans, quand ces derniers filment un visage et sa réaction. Le champs sur le visage de Joe est souvent plus fort que le contre-champs sur ce que Joe contemple.
Là encore, on peut reprendre l’exemple de la scène de l’incendie. Joe observe effaré l’incendie ravager une partie de la forêt
. Avant de filmer la forêt en question, Dano aura fait durer le plan sur le visage de Joe. Car avant d’être un film sur une séparation, c’est bien un film sur l’enfant, victime des déchirements de ses parents.
Nous sommes donc devant un film de visages, c’est-à-dire un film où l’expression de l’acteur est souvent au centre de ce que filme le réalisateur. Ce genre de film pour convaincre à tout prix doit être porté par de grands acteurs. Car dans ce genre de film où l’émotion est le plus souvent véhiculé par les personnages, il est vital que les acteurs incarnent à la perfection leur personnage. Et l’une des grandes forces de ‘’Wildlife : une saison ardente’’, c’est précisément sa distribution. Jake Gyllenhaal (l’un des meilleurs acteurs du moment) apporte toute cette rage à son personnage orgueilleux, haineux envers les puissants. Mais plus encore, c’est Carey Mulligan qui a notre attention. Elle parvient à nous faire ressentir toute l’évolution de son personnage : d’abord femme au foyer modèle qui va peu à peu gagner en amertume et en désespoir. Le jeu de Gyllenhaal et de Mulligan est propre au jeu des acteurs de films mélodramatiques : prompt à verser dans une forme d’excès. Un contraste naît forcément entre leur jeu brutal et le jeu tout en nuance d’ Ed Oxenbould. La performance du jeune acteur est étonnante. Après ‘’The visit’’ où il jouait un jeunot adorateur de rap et assez tête à claque, le voir dans ce rôle taciturne surprend. Il fait preuve d’une grande maturité et fait parfois beaucoup plus adulte que Jeanette et Jerry. Les parents ici se comportent parfois comme de vrais gamins. Gamins qui ne parviennent pas à s’intégrer, toujours prêt à déménager de ville en ville au contraire de Joe, plus posé. L’osmose est total entre les acteurs et leur personnage. Est-ce vraiment surprenant ? Il faut tenir compte du fait que Paul Dano est acteur. Or, les acteurs qui passent à la réalisation sont souvent capables de tirer le meilleur de leurs acteurs (inutile d’en faire la liste ici). Ils savent exploiter tout le potentiel de leurs acteurs et même en révéler certaines facettes (comme Charles Laughton qui rendit monstrueux Robert Mitchum dans ‘’La nuit du chasseur’’).
Classique,’’Wildlife : une saison ardente’’ n’en demeure pas moins un beau drame. Premier film prometteur pour l’acteur Paul Dano, qui parvient en nous glissant dans le regard innocent de Joe à pousser à l’extrême nos émotions. Tantôt exaspérant, émouvant ou violent, les parents finissent dans une scène finale illusoire par se réunir, le temps d’une simple photo. Ce déchirement marque pour le héros l’entrée dans le rude monde des adultes.