Despicable Me
Il est des œuvres où le spectateur serait amené à remettre en question, au moment même de son visionnage, sa présence dans la salle de cinéma, au milieu de ce collectif d’anonymes et de cette foule hilare, non sans rappeler une certaine œuvre fondamentale du cinéma muet. Un questionnement résultant avant tout de l’altération de ses attentes personnelles, dont la simple envie de glousser serait transformée en une entêtante contrariété. Un problème majeur dans la mesure où le principe même d’une comédie est de nous amener à oublier notre réalité par le rire. Dès lors, pourquoi un spectateur serait-il moins réceptif qu’un autre à telle ou telle tentative comique ? Sûrement une affaire de subjectivité, mais aboutissant au final à relancer l’éternel débat autour du « Peut-on rire de tout ? », et notamment lorsqu’il s’agit de traiter des sujets à l’actualité glissante. Un procédé souvent efficace puisque tout l’intérêt résiderait dans ce détachement caricatural et volontaire de la réalité, comme une tentative de renverser les mentalités en soulignant avec excès les comportements absurdes de la société. Mais dans cette démarche de dédramatisation et d’adoucissement des esprits, certains films convergent maladroitement à enflammer de nouveau l’opinion publique.
Car chaque année, la controverse se régénère, qu’il s’agisse de films traitant, avec plus ou moins de réussite, du racisme ordinaire et de l’intégration sociale (comme Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? ou A Bras Ouverts), en allant jusqu’à des œuvres plus radicales comme Sausage Party abordant de manière métaphorique les conflits de religions et la nécessité du vivre ensemble, le tout sous une couche d’indécence provocatrice. Mais la véritable difficulté n’est pas tant de vouloir tourner en dérision l’actualité, encore faut-il réussir à trouver l’angle d’attaque adéquat et une certaine harmonie entre le respect moral et la caricature. Un objectif bien souvent mis de côté par les productions actuelles au profit d’une logique d’impertinence et de débilité assumée (même s'il n'était pas indispensable de nous l'imposer). Epouse Moi Mon Pote se voudrait ainsi poursuivre cette inhabile insolence dans un esprit relativement festif et désinvolte autour de la thématique d’un mariage homosexuel arrangé et factice, avec ce désir de créer positivement un « comique pour tous ».
Dans cette approche hétéro normée de l’homosexualité, le film en deviendrait presque une sorte de remake à la française de Quand Chuck Rencontre Larry, se noyant ainsi dans un océan de vulgarité en tentant vainement de faire passer la continuelle rengaine du message sur la tolérance. Ou comment passer du rire décomplexé et généreux à ce decrescendo comique où chaque tentative de provoquer une large et euphorique ouverture de la bouche se transformerait en de lourdes expirations et l'irrépressible envie de finir la séance chez soi, à l'abri de toute offensive stéréotypée de ce cinéma de « genre ». Car même en ayant la volonté de prendre cette farce sous l'angle de la dérision et de la démesure, il apparaît clairement qu’Epouse Moi Mon Pote pioche moins dans le génie comique d’un Billy Wilder que dans la lourdeur générationnelle d’un Cyril Hanouna, le triste reflet d’une époque ayant perdue tout sens de la singularité et de la subtilité. Et de l’humour comme exutoire, se voit s’imposer l’image de l’exécution de l’humour.
Comme si de ces 120 bêtises par minutes, Tarek Boudali avait conduit à élever les clichés à sa gêne la plus douteuse, pour que de cet amour à taire se gesticule l'homo-nullitus. S’essayer et échouer en définitive à réaliser cette comédie fédératrice où la logique anticonformiste et perturbatrice s’évertuerait à affluer sur une cohésion populaire (à l’image du récent Coexister de Fabrice Eboué). Ne reste ici qu’un vaudeville sans questionnement ni recul, dont le seul but serait l’importance du rythme et de l’énormité, pour le meilleur mais surtout pour le pire. C’est à se demander si le récit n’est pas au final un prétexte de La Bande à Fifi pour réaffirmer cette amitié indéfectible et durable entre ces partisans du rire fort.
En somme, une œuvre qui inverse la position dominant/ dominé au sein du groupe d’humoristes, dans la mesure où Tarek Boudali fait de Philippe Lacheau son objet d’expérimentation, aussi bien au sens littéral que figuré. Tout cela pour reproduire à l’identique la recette miracle de Babysitting et Alibi.com sans en renouveler les ingrédients, tout en sachant pertinemment que le film ne s’apprécie qu’en tant que simple distraction populaire. Et même si l’ensemble n’est pas sans provoquer quelques sourires (notamment cette séquence chorégraphiée sur le « Last Dance » de Donna Summer), le grotesque du jeu d’acteurs à la lisière de l’inexistence, et les indigestes allusions aux poncifs gays (de Brokeback Mountain aux accessoires sexuels) enlisent la pellicule dans une maladresse unanime.
Il y aurait pourtant eu un véritable intérêt à approfondir la réflexion autour de l’acceptation ou non de l’homosexualité dans des pays du Moyen Orient et du Maghreb, là où ces questionnements sociaux font l’objet de violents tabous et où les traditions demeurent inaliénables. Dans ce cas présent, la comédie peut apparaître comme un moyen parfaitement adapté pour effectuer une prise de conscience vis-à-vis de la radicalité archaïque de la situation tout en délivrant un hymne à être soi-même dans un monde uniformisé ; comme sur le modèle d’un I Love You Phillip Morris évoquant la différence à travers une crise identitaire. Car à quoi bon faire d’une discrimination quasi quotidienne une œuvre qui renforcerait d’autant plus la vision grotesque et clichée qu’a le « grand public » de cette communauté ? A cette futile comédie humaine, seule la simplicité et la justesse de ton auraient dû être de mise dans l’optique de véhiculer une figure éclatante et téméraire, élevant ces marginaux à ce niveau d'égalité qu'il devrait exister.
Epouse Moi Mon Pote s’inscrit pourtant dans la parfaite continuité des projets entrepris par la Bande à Fifi, mais s’embourbe dans la pauvre exploitation de son sujet. Préférant la lourdeur au sophistiqué, le rire s’accorderait à souligner l’insolite de la réalité en une exagération permettant l’annulation de tout cliché, si seulement chaque situation ne contribuait pas à les renforcer. Non sans exhumer l’échec cuisant du Ils sont partout d’Yvan Attal, et à vouloir nous sortir de cette Cage aux folles qu’est la vie pour finalement aggraver la peine à la sortie, cette œuvre pourrait incarner la tristesse de cette « relève » du cinéma français où le génie comique disparaît progressivement sous la balourdise et la grivoiserie. Beaumarchais aurait même pu établir un tempérament à sa formule en affirmant qu’en l’état de ces constatations, il serait de rigueur de s’empresser d’en pleurer à défaut d’en rire. Et de ces moqueries superficielles, le film devrait, n’en doutons pas, ameuter un troupeau de curieux et faire jouer de leurs zygomatiques. Un peu comme un costume sadomasochiste que le spectateur accepterait consciemment de porter.
Toute dernière fois…
Critique à lire également sur Le Blog Du Cinéma