En ces temps obscurs que connait actuellement (et depuis de très longues décennies) la comédie en France, j’avoue que l’ami Philippe Lacheau fait partie de ces quelques gars que j’aime bien suivre parce que, à défaut de les trouver brillants, au moins je les trouve bosseurs et sympathiques. Du coup – forcément – quand le pote de l’ami Fifi se risque à son tour à l’écriture et à la réalisation, je ne peux m’empêcher de tenter ma chance… Et au final, je me dois bien de le reconnaître, sur ce coup-là, je ne sais pas trop comment me positionner par rapport à cette comédie là… D’un côté, j’ai envie de reconnaître à Tarek Boudali une certaine audace. En cette période très tendue où une fatwa peut être lancée dès qu’on se risque en dehors des sentiers balisés par les ayatollahs de la morale et autres « Social Justice Warriors » du net, il est vrai qu’oser se risquer à faire ce genre d’humour sur ce genre de sujet, c’est quand même très culotté. D’ailleurs cet « Epouse-moi mon pote » n’y a pas échappé : les Inrocks (encore eux), le Monde ou bien encore l’Obs y sont sous allés (avec plus ou moins de virulence) pour condamner un humour taxé d’homophobie, de sexisme et de misogynie. Et c’est vrai qu’il est maladroit le Tarek, et c’est sûrement cela qui le dessert le plus. Sa maladresse, déjà, elle est cinématographique. Le sujet est mal amené et – surtout – avec les mauvais codes. Le film commence sur le ton du film convenu et convenable, pétri de bonnes intentions, jouant sur le registre de ces comédies romantiques guimauves qui respectent à la lettre les conventions morales attendues. Quand tu veux te risquer sur un terrain moralement miné, déjà la moindre des choses, c’est de préparer ton spectateur comme il faut. Or là, pour moi, ce n’est clairement pas le cas. S’il avait affiché dès le départ de l’irrévérence et une vraie liberté de ton – un peu à la manière d’un duo Trey Parker / Matt Stone, d’un Sacha Byron Coen ou bien d’un Mickael Youn – déjà cet « Epouse-moi mon pote » aurait su mieux nous conditionner à l’humour qu’il entendait prodiguer… D’ailleurs, autre problème : au-delà du ton, c’est aussi le thème qui aussi très mal amené. Quand le titre débarque « Epouse-moi mon pote », la question du mariage gay n’a toujours pas été abordée dans l’intrigue – tout comme le « pote » d’ailleurs ! – si bien que pour celui qui rentre dans la salle sans rien savoir de l’histoire, c’est juste l’égarement total. Au final, il faut attendre à peu près vingt minutes pour que le sujet tombe enfin sur la table, de manière un peu brutale et pas très logique, si bien que ça n’augure rien de bon pour le reste. Le pire, c’est que l’ami Boudali est aussi assez maladroit dans sa manière d’aborder les choses. Avant même de se prendre les pieds dans la question de l’homosexualité, il dérape déjà pas mal dans sa manière de considérer les femmes rondes, envoyant malgré lui des signaux contradictoires.
D’un côté il insiste sur le fait que ce n’est pas un problème pour son héros que son amour de fac soit grosse (alors que bon, s’il voulait vraiment montrer que ce n’était pas un souci, il suffisait juste… de ne rien dire. Comme quoi…) Mais d’un autre côté, Boudali se sent quand même obligé de la faire maigrir afin qu’elle corresponde davantage aux canons de beauté du moment. Du coup, le film en vient à nous faire nous poser une question qu’on ne se posait même pas : « c’était vraiment un souci pour l’efficacité d’une intrigue amoureuse que la fille soit ronde ? »
D’ailleurs, moi je trouve que le film serait bien plus attaquable sur cette question que sur la question de l’homosexualité au final. Parce que bon, quand on prend l’intrigue en son ensemble, où est l’homophobie ? On a à faire à deux personnages qui doivent se faire passer pour homosexuels mais sans savoir comment faire. Alors que font-ils ? Ils reproduisent les stéréotypes qu’ils se font de l’homosexualité. Le film valide-t-il ainsi les stéréotypes faits sur l’homophobie ? Non. Il valide juste le fait que deux zigotos ONT des préjugés sur les homosexuels. D’ailleurs le parcours de l’intrigue insiste bien là-dessus. Le personnage de Lisa reprochera même aux deux héros de reproduire ainsi de tels clichés. Ce n’était pas comme si par la suite le film la déjugeait ou bien qu’il s’abstenait de présenter des contre-exemples d’homos tout ce qu’il y a de plus normal. Par exemple, le couple d’amies d’école d’architecte en début de film ne rentre pas dans cette logique stéréotypée. Le couple masculin final (
formé par Fred et Daoud
), dans sa manière de se tenir et de s’exprimer ne l’est pas non plus ! De même, les personnages archétypaux ne sont pas exclusifs aux homos dans ce film : que ce soit l’inspecteur, les gamins de la classe de ZEP ou bien encore la petite vieille nymphomane, tous sont des clichés ambulants alors qu’ils ne sont pas homos ! La vraie question qu’on devrait se poser face à ce film ce devrait plutôt être : peut-on caricaturer les homos (et en rire) comme on pourrait le faire pour n’importe qui d’autre ? Parce qu’à bien lire toute la polémique qui existe autour de ce film, j’ai vraiment l’impression que la vraie question, en fait, elle est là. On a le droit de se poiler sur les caricatures offertes par « Le diner de cons », « Bienvenue chez les Ch’tis » ou autres « OSS 117 », mais par contre, on ne pourrait pas le faire dès que ça toucherait des personnes plus susceptibles d’être victimes des discriminations ? Alors déjà, d’une part, ayons au moins l’honnêteté de constater que la désignation des personnes discriminées est à géométrie variable (moi par exemple qui suis un Picard aux origines bien rurales et vivant aujourd’hui dans le Nord, je peux témoigner), mais que surtout c’est la base même de la moquerie que de nous mettre dans une zone d’inconfort. Si on se devait de s’interdire toutes les blagues qui pourraient blesser ou offenser quelqu’un, alors les seules blagues qui survivraient seraient les blagues Carambar et les simples prouts. Alors du coup : oui, forcément, l’humour ne fait pas consensus. Et oui, j’entends que l’humour de cet « Epouse-moi mon pote » ne convienne pas à tous. Seulement dire cela, c’est dire autre chose que « ce film est homophobe. » Quand je vois les deux héros se ridiculiser à reproduire l’image caricaturale qu’ils se font des homos, moi ça me fait marrer. Ce n’est pas l’homosexualité qui me fait rire parce que je la trouve ridicule, ce sont ces gars qui me font rire parce qu’ils sont ridicules dans leur manière de singer l’homosexualité ! De même,
quand je vois Daoud peiner à concilier l’expression de son homosexualité et celle de sa figure viriliste de caïd des cités, ça aussi ça me fait rire aussi. Mais là non plus ce n’est pas l’homosexualité qui est la source de la raillerie. C’est bien davantage la figure viriliste de caïd qui, pour le coup, révèle toutes ses limites ! Alors oui, Daoud est homo et c’est une caricature ! De même que Fred va se découvrir homo après avoir joué à la folle de manière caricaturale ! Oui ils sont tous deux des caricatures alors qu’ils sont homos ! Et alors ? Est-ce que le film les méprise ? Est-ce que le film les essentialise ? Est-ce que le film les maintient dans cette vision caricaturale des choses ? Non. Trois fois non.
C’est en cela que, pour moi, il me semble que le procès en homophobie de ce film ne tient pas la route. Alors certes, cela fait un bon pavé que je viens de vous rédiger là pour vous exposer mon point de vue sur cette question sensible qui est pourtant plus de nature sociétale et politique que cinématographique, pourtant j’ai du mal à voir comment j’aurais pu exposer mon impression sur ce film sans passer par cette case-là. Car si on doit juger une comédie à l’efficacité de son humour, cette efficacité ne peut être alors établie qu’au regard de ce qui nous fait rire ou pas, et donc de ce qu’on accepte ou non comme type d’humour. Or, on n’est pas tous les mêmes spectateurs sur ce sujet là. Si vous êtes trop sensible sur ces questions, cela me parait effectivement évident que ce film n’est pas fait pour vous. Si par contre vous êtes assez à l’aise avec le scabreux, je pense qu’il est possible d’y trouver quand même quelques petites choses sympas dans ce film ; d’autant plus sympas qu’elles surfent sur un sujet qu’on ose rarement aborder. Parce que malgré les erreurs formelles évoquées plus haut (et qui malheureusement parasitent le film tout du long), il y a quand même dans la deuxième moitié un jeu assez habile où Tarik Boudali sait flirter avec la ligne du politiquement correct, soit pour désamorcer des situations homophobes (
je pense notamment à la plupart des scènes qui concernent l’inspecteur Dussart, à Fred qui repousse Daoud… mais parce qu’il est marié, ou bien encore au quiproquo entre la mère du héros et Dussart
), soit pour oser pointer du doigt les formes d’homophobies qui existent bels et bien dans notre société, sans forcément les stigmatiser (
…notamment dans la religion ou bien encore dans les cités. Même chose pour le fameux « c’est pas grave » prononcé par des gens qui sont malgré forts adorables.
) En fait, ce que j’aime bien dans ce film (et les raisons pour lesquelles les Inrocks ne l’aiment pas) c’est qu’il n’est pas là pour nous faire la morale. Il n’est pas là pour nous planter un monde fantasmé où tout le monde accepte l’homosexualité et où ceux qui ne l’acceptent pas ne sont que des méchants pas beaux que rien ne sauve. Non, on se contente juste de regarder la société telle qu’elle est, et de s’en moquer aussi bien pour ses travers que pour ses gentilles âneries. Alors oui, après ça ne retire rien à ma note globale et à ce qu’elle dit de mon appréciation de ce film. Oui, globalement c’est mal gaulé et c’est maladroit. Mais bon, il y aussi une belle tentative dans ce film là. Pas une belle tentative de cinéma, mais au moins une belle tentative de comédie. Donc rien que pour cela, sans vendre pour autant du rêve, j’ai quand même envie d’au moins nettoyer le paillasson de cet « Epouse-moi mon pote » qui, à mon sens, ne mérite pas l’opprobre inquisitoriale qu’il s’est mangé dans la face… Après, ce n’est que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)