"On pense que les bébés sont mignons, moi, je suis tout grognon."
Effectivement, depuis quelques temps, le petit être qui grandit à l'intérieur de Ruth a décidé de se servir de son placenta comme d'un talkie-walkie pour transmettre ses envies meurtrières à sa mère...
Premier film écrit, réalisé et interprété par Alice Lowe (elle-même enceinte pendant les 11 jours qu'a duré le tournage), "Prevenge" laisse indéniablement une bonne impression sur ses intentions de fond. À mi-chemin entre la comédie noire et le pur drame, le film s'attaque avant tout à la condition de la solitude d'une femme enceinte au sein de la société anglaise. Intelligemment, Alice Lowe la traite d'abord à travers son personnage principal qui, suite à la disparition tragique de son compagnon, se retrouve dans un état d'isolement total. N'arrivant pas à accepter cette situation, la quête sanglante exigé par son bébé arrive donc à point nommé grâce à une liste de victimes parfaitement glauques, elles-mêmes enfermées dans leur propre solitude (toutes ont une existence avec des objectifs artificiels) et renvoyant donc Ruth à sa propre condition qu'elle choisit de combattre à grands coups de couteau.
Par ailleurs, à travers la galerie de personnages ainsi croisés, Alice Lowe dresse aussi plus globalement une liste d'éléments alarmants qui ne font qu'accroître l'isolement sociétal d'une femme enceinte désormais seule (l'entrevue professionnel, le rapport aux hommes, le dénigrement par les "autres" ayant volontairement choisi de ne pas avoir d'enfants, ...). Leurs meurtres peuvent être ainsi vus comme une démolition de ces barrages à une potentielle acceptation/reconnaissance de son sort synonyme d'un futur bien-être.
Si le discours est donc plutôt malin, "Prevenge" souffre néanmoins d'une construction narrative très répétitive : les meurtres s'empilent les uns sur les autres avec comme simple liant ce nuage de mystères autour de la mort du compagnon de Ruth et la provenance des paroles du bébé. Le premier comme le second ne seront pas des éléments assez solides pour devenir le ciment d'un film qui laissera un constant goût d'inachevé de ce point de vue. D'un côté, Alice Lowe en fera trop pour conserver une sorte d'énigme autour du père qui n'en demande pas tant et, de l'autre, pas assez autour de l'élément fantastique induit par la personnalité sadique du bébé, le traitement de l'état mental de Ruth nous donnant bien trop vite des réponses sur l'origine de ces pensées sanglantes.
Heureusement, l'interprétation de haute volée de l'auteure/actrice et de très belles pointes d'humour noir s'avèreront être de bonnes compensations à ces problèmes de structure narrative bancale.
Bien qu'inabouti, le potentiel d'intelligence entrevu dans ce premier long-métrage laisse augurer une future carrière plus que prometteuse pour Alice Lowe. Et donc à suivre de très près.