Rares sont les acteurs très âgés à qui on offre de participer de leur vivant à un film hommage quelques mois avant leur disparition. C’est ce qui est arrivé à Harry Dean Stanton grâce à l’action conjointe de 3 comédiens et d’un réalisateur : les comédiens Logan Sparks et Drago Sumonja se sont métamorphosés en scénaristes pour raconter l’histoire d’un personnage ressemblant beaucoup à Harry Dean, le comédien John Carroll Lynch a récupéré ce scénario pour réaliser son premier film et le réalisateur David Lynch a fait l’acteur aux côtés de Harry Dean. Quelques mois plus tard, le 15 septembre 2017, le mythique acteur de "Paris, Texas" s’est éteint à Los Angeles, à l’âge de 91 ans.
Bien qu’il soit persuadé d’être un solitaire qui n’a besoin de personne, bien que se montrant le plus souvent bourru et mal embouché, râleur et nihiliste, Lucky est un personnage incontournable de la bourgade qui l’abrite, en plein désert de l’ouest américain. A 90 ans, il continue de fumer comme un pompier et passe une bonne partie de son temps à écouter des jeux radiophoniques et à faire ses mots croisés. Pour se maintenir en forme, il marche et fait plusieurs fois par jour des exercices de yoga en écoutant de la musique mexicaine. Quant à sa vie sociale, on en a vite fait le tour : le bar tenu par Joe et dans lequel il se rend régulièrement et un semblant de relation avec une famille d’origine mexicaine.
Et puis, un beau jour, voilà Lucky qui s’effondre au cours d’un exercice, ce qui justifie l’intervention du docteur du village. Rien de bien grave et cette sentence de la part du médecin : « Je ne te conseille pas d’arrêter de fumer, ça te ferait plus de mal que de bien ». Toutefois, pour Lucky, les choses deviennent claires : la fin est proche, il faut la préparer, il est peut-être temps de connaître la peur et d’adoucir son comportement.
L’histoire que raconte Lucky peut apparaître comme étant d’une grande simplicité : l’histoire d’un vieil homme qui tient à faire croire qu’il est désagréable mais qu’on ne peut s’empêcher de trouver terriblement attachant. En fait, au milieu de cette apparente simplicité se cache, mine de rien, une grande richesse de détails allant du croustillant à des réflexions philosophiques sur la vie, sur la mort ou sur l’amitié.
Film abordant avec une grande sérénité et beaucoup d’humour l’arrivée inéluctable de la mort, "Lucky" donne aussi une vision idyllique d’une Amérique « dé-trumpisée » dans laquelle toutes les communautés vivraient en bonne harmonie : dans ce bled dans lequel la majorité de la population est blanche, Joe, le patron du bar, est noir et la communauté d’origine mexicaine vit en bonne intelligence avec le reste du village.
Pour sa première réalisation cinématographique, l’acteur John Carroll Lynch frappe un grand coup : "Lucky" est un film qui traite de sujets graves avec légèreté et finesse , un film qui montre les Etats-Unis tels qu’on voudrait qu’ils soient, un film qui se déguste, un film qui ne manquera pas d’accompagner très longtemps les spectateurs. Quant à Harry Dean Stanton, grand acteur presque toujours cantonné dans des seconds rôles, le merveilleux cadeau que lui ont fait ses amis lui permet de quitter la scène avec son plus beau rôle, le sien, en quelque sorte !