Quand un acteur (John Carroll Lynch) passe derrière la caméra pour filmer un autre acteur (Harry Dean Stanton qu’on a pu voir, entre autres, dans « Paris, Texas » de Wim Wenders), cela donne une œuvre toute de finesse et se parant de subtiles teintes élogieuses. Non pas qu’il soit question ici de statufier qui que ce soit, pas même l’acteur principal du film (mort peu de temps après le tournage). Non, il s’agit plutôt de goûter à deux formes d’éloge qui sont aussi deux manières d’appréhender la vie, deux sagesses si l’on veut, l’une prônant la lenteur, l’autre se dévoilant comme un simple sourire.
La lenteur, c’est celle de Lucky, joué par Harry Dean Stanton, qui, à son âge, n’a guère d’autre choix que d’opter pour un rythme apaisé. Manifestement, chacune de ses journées ressemble comme deux gouttes d’eau à celle qui précède autant qu’à celle qui suivra. Tout semble codifié et immuable, du lever au coucher, en passant par la toilette, les exercices de yoga, le café, les cigarettes, l’épicerie, les mots croisés et les shows télévisés. Dans une vie comme celle de Lucky, il n’y a plus grande surprise à attendre et il vaut mieux prendre le temps de tout apprécier, y compris même une invitation à un goûter d’anniversaire où le voilà qui chante une chanson mexicaine ! Rien qu’une petite variation pour rompre un peu la routine, à l’exemple d’un autre mini événement qui ne concerne rien moins que la disparition d’une tortue ! Le reptile (symbole de lenteur s’il en est) a trouvé le moyen d’échapper à la vigilance de son propriétaire (joué par David Lynch) et de disparaître dans la nature aride de ce coin de Texas. On a beau être lent, cela n’empêche pas d’avoir des velléités de liberté !
Ah ! Si ! Il reste encore un événement qui s’invite pour perturber le train-train de Lucky. Car le voilà contraint de se laisser examiner par son médecin après avoir fait une chute soudaine et inexpliquée à la maison. Cela étant, le docteur ne lui trouve rien de déficient et lui conseille même de continuer à fumer ! A son âge, après tout, à quoi bon abandonner ce plaisir ? Bien que remis de sa chute, Lucky ne s’encombre d’aucune illusion, il sait qu’il n’en a plus pour bien longtemps. Et, pour lui qui affirme ne pas croire en l’âme, il n’y a rien à espérer de plus que la vie présente. Tout passe, tout est éphémère, comme il l’affirme, et il vaut mieux sourire que se lamenter. C’est ce que l’on retient de cet homme : son sourire. Que l’on partage ou non son scepticisme, qu’importe ! Tout ce qui compte, c’est qu’on a affaire à un beau personnage.