Une tranche de vie, les dernières apparemment de Gauguin. Celle concernant son exil volontaire à Tahiti. Il avait un grand besoin de fuir Paris et la vieille Europe où il semblait nous dire, à travers ses potes artistes, qu’elle n’était plus source d’inspiration. Il est vrai que Tahiti offre aux artistes une palette de couleurs, de contraste, de lumière, de portraits assez extraordinaire. Et l’on voit notre Gauguin aussi pauvre qu’à Paris mais au soleil, sous d’autres tropiques, loin de l’agitation hystérique de la capitale. Et quand il pleut, la grisaille est plus supportable et plus colorée qu’à Paris. Quant aux femmes, elles sont sources de ravissement. Un Gauguin acétique, souffreteux, l’artiste maudit par excellence. L’artiste qui vit sa passion sans concession, jusqu’au boutisme. Encore une tranche de vie instructive. On y voit aussi un Gauguin sensible, miné par le fait de ne pas pouvoir assurer le minimum à sa jeune compagne, son égérie, Tehura. Classique comme dirait l’autre. Quand le film fut terminé, je saluais la prestation de Vincent Cassel, l’incarnation de son personnage était saisissante. Un film par moments contemplatif, qui prend le temps de prendre son temps, comme on devait le prendre avec évidence en cette fin de siècle sous les tropiques. Comme tout biopic, j’approfondis le sujet et de lignes en sites comme celui de « France Afrique » je m’aperçois que le Gauguin décrit n’a rien à voir avec celui du réalisateur. Je creuse ma recherche dans les critiques et m’aperçois que ceux qui n’ont pas aimé ignorent complètement l’aspect artistique du film pour s’en prendre au personnage à qui l’on a gommé ses mauvais côtés. Je le dis et le répète : peu importe la façon dont le réalisateur aborde son biopic. Peu m’importe que ce soit académique, de la naissance à la mort ; peu m’importe que ce soit traité de façon originale ; peu m’importe que cela ne concerne qu’un moment de vie ; il en est de même des faits historiques, des faits divers. Pour ce genre, peu importe la forme, c’est le fond qui m’importe, la force de conviction qu’on y met dedans ; l’essentiel c’est apprendre quelque chose. Si c’est superficiel, j’approfondis sur le Net. Par contre, je demande à l’auteur d’être sincère. Je ne doute pas de la sincérité d’Edouard Deluc mais ce que je n’accepte pas c’est la manipulation. Je l’avais déjà évoqué avec « Chocolat » ; Roschdy Zem a volontairement gommé quelques aspects déplaisants de son personnage préférant jouer sur la corde sensible des spectateurs en provoquant l’indignation. Gommer volontairement un ou des traits de caractère d’un personnage historique, c’est gommer une partie de notre Histoire avec un grand H. Gauguin fait évidemment partie de l’Histoire, Histoire du monde, Histoire de France, Histoire de l’Art, Histoire de la peinture. Moi j’ai vu un Gauguin sensible comme tout artiste. J’ai aimé ce personnage, cet artiste, l’homme. Sa sensibilité, sa délicatesse envers sa femme, son désespoir de la perdre ; cette relation amoureuse qui l’inspire et qui se dégrade petit à petit. Au moment où il s’apprête à tuer sa femme et son amant, on le voit hésitant, sa colère fait place à la raison et à la résignation. On y voit un Gauguin réfléchi. Certes, il s’est montré dur en l’enfermant pour l’éloigner de son amant. Il a sa fierté. Personne n’est parfait. Son comportement reste dans le domaine de l’acceptable. En plus, il mettait sa passion entre parenthèses pour un travail de forcené afin de rapporter quelques sous, et tenter de retrouver l’amour. En vain, il finit par admettre sa défaite et rentre à Paris pour se faire soigner d’un infarctus. Son départ, lui dans une barque qui va l’amener au bateau, elle sur le quai, est émouvant. Comme toutes relations amoureuses chacun est de l’autre côté du quai en partance vers un ailleurs. Guéri ou retapé, il choisira une autre destination : les îles Marquises. A partir de cet instant, les violons cessent brusquement pour une toute autre musique, et pas celle d’Edouard Deluc ! En vérité, notre Gauguin a une vie sexuelle débridée. Tant mieux pour lui, ce n’est pas bien grave mais ce qui le serait c’est le fait qu’il était entouré de trois jeunes filles… mineures. Et il butinait de l’une à l’autre sans vraiment les aimer. Ces jeunes filles n’étaient pas que sources d’inspiration artistique, elles étaient objets de plaisirs à loisir. Son infarctus lorgnait plutôt du côté de la syphilis ! Aux Îles Marquises, il paraîtrait que sa mort fut bien accueillie tant ce personnage était encombrant et insupportable, voire effrayant envers les adolescentes dont il abusait. Quid de cette partie de sa vie ? Pourquoi nous vendre un Gauguin qui n’a rien à voir avec la réalité ? Quel intérêt de nous vendre un Gauguin faux ? Deluc serait-il faussaire ?! Pourquoi Vincent Cassel accepte d’interpréter un personnage qui ne correspond pas à la réalité ? Pour le réhabiliter ? Réhabiliter de quoi ? Auprès de qui ? Deluc avait peur qu’on n’aime pas Gauguin. Que son film participe à un boycottage soudain de ses oeuvres ? Voilà bien longtemps que les toiles de ce pauvre Gauguin valent une fortune bien après sa mort. Tout acheteur se moque de la vie intime de Gauguin. Si en plus on peut spéculer avec ses toiles ! Voilà bien longtemps que l’art et l’argent se passent de morale ! Bref, je suis tombé dans le panneau. Edouard Deluc m’a manipulé. Comme on dirait à Groland : « Avec du gravier !» Pourquoi nous avoir pondu un bisounours ! Comme le chantait Serge Lama (ou le chante encore sans doute) dans « Les poètes » : « S’il faut les aimer morts, il faut les fuir vivants. Reste à distance d’yeux, ne t’approche pas d’eux ». On peut aimer l’artiste et ne pas aimer l’homme. Pourquoi chercher à fouiller dans l’artiste l’homme. Souvent la déception vient de l’homme. Et si on est objectif, mais l’est-on vraiment, on trouvera des circonstances pour l’artiste qui nous a touchés. On ne peut pas tout à coup le rejeter. Il y aurait beaucoup à débattre sur l’artiste et l’homme mais ce n’est pas le lieu. En tout cas, Deluc est non seulement manipulateur mais aussi menteur et pleutre. Il me ment sur la maladie de Gauguin, sur le comportement de Tehura qu’il fait passer pour une infidèle. Et pleutre car il a manqué de courage en refusant sciemment les zones d’ombre de l’artiste. J’aurais aimé que Deluc me peint un portrait réel, déplaisant soit-il de l’artiste. Je me serais dit : « J’ai appris quelque chose, je ne savais pas que cet homme était exécrable, était pédophile eh oui, appelons un chat un chat ! » Etait-il considérée comme tel à l’époque ? Justement, à Deluc de nous convaincre en rappelant au spectateur le contexte de l’époque. Ne pas inviter le spectateur à pardonner mais à comprendre. A travers sa mise en scène, à travers son point de vue personnel et un tantinet objectif. Etre l’avocat du Diable. Nous rappeler qu’il ne faut pas plaquer un raisonnement du XXIè siècle sur un raisonnement de XIXè siècle. Deluc a manqué d’imagination pour tenter de trouver de la grâce et il doit y en avoir dans le personnage de Gauguin. A commencer par ses oeuvres, qui, entre parenthèses, n’étaient pas vraiment valorisées dans le film. Une étoile pour l’interprétation de Vincent Cassel et de la jeune Tuheï Adams dont c’est le premier film. Pour le reste, ni ne pardonne ni ne comprends la démarche du réalisateur.