The Square, le carré. Celui dans lequel l'humanisme touche à son paroxysme selon la volonté d'un artiste représenté par la galerie dans laquelle travaille le héros du film, Christian. Ce prénom, qui renvoie directement aux considérations sociétales les plus basiques des pays occidentaux et continuent de définir la plupart de nos normes en vigueur aujourd'hui, incarne à lui seul tout le propos du film. Les valeurs humanitaires profondes, la bonne volonté et le don de soi, gratuit et désintéressé, etc. se voient si vite balayés dès que les intérêts personnels se voient menacés. Car il s'agit peu à peu de glisser de ce carré "ouvert" qui rapproche les hommes entre eux par la sublimation de la cohésion interindividuelle à celui qui, au contraire, renferme les individus sur leurs préjugés et conforts personnels en les coupant du monde. Quand les normes sont bousculées, - que ce soit par le vol de ses effets personnels, un homme-singe qui s'empare d'un dîner mondain ou encore d'une vidéo choc qui marque les esprits dans un but publicitaire -, se pose la question de l'établissement d'un ordre nouveau afin de continuer de vivre ensemble dans la plus grande harmonie et de l'engagement de chacun à non plus se laisser porter par l'ordre établi mais à prendre le contrôle de nouvelles normes. On dépouille l'humain de ses apprentissages sociaux pour ne lui laisser que ses fondements (d'où, certainement, l'homme-singe), pour définir de nouvelles bases. Nous avons tous des préconçus en matière de justice, de partage et de vivre-ensemble et nos actes ne coïncident pas toujours avec nos discours, ce qui est ici notamment illustré par le vol : quand on se fait voler, on veut rétablir l'injustice et retrouver ce qu'on considère être notre dû sans se soucier des motifs potentiellement légitimes qui poussent quelqu'un à voler ni de questionner si nos biens nous sont réellement dus. Quelle légitimité avons-nous à être possédants de tels biens plutôt que cette autre personne, qui veut s'en emparer ? Une fois confrontés à la réalité matérielle des choses, il nous est difficile de sortir de notre carré... Mais au-delà de la mise en scène de la tension entre pensée et acte, Ruben Östlund propose en filigrane une résolution de la problématique en questionnant le libre-arbitre.
Dès qu'il retrouve ses affaires, le galeriste s'empresse de donner tout son argent à une mendiante qu'on sait par ailleurs qu'il n'apprécie pas pour avoir des exigences et, par là, considérer les autres comme lui étant redevables de fait, ou comme lorsqu'il veut lui-même se débarrasser de son préservatif usagé plutôt que de le laisser à une femme qu'il ne connait pas.
Ainsi, le pivot qui permettrait d'articuler nos considérations et nos actes ne serait autre que la liberté d'action, qui ne dépend pas nécessairement d'un statut social ou de moyens financiers mais des libertés que nous nous accordons nous-mêmes et de notre engagement à les assumer. En articulant plusieurs approches, ce film tour à tour bouscule, provoque, moque et interroge, mais il va plus loin en plaçant au cœur même de sa réalisation la réponse aux problématiques qu'il soulève. Belle démonstration !