Ruben Östlund me fait rire. En ce qui concerne le comique, je suis une très mauvaise spectatrice, impossible à dérider. Omar Sy ne me fait pas rire, pas plus que Danny Boon. Leurs prestations m'inspirent de l'ennui, au pire une légère pitié. Mais Snow Therapy m'avait réjouie! Et devant The Square, je me suis marrée tout le temps, nonobstant le fait que le rythme du film est étonnamment lent et qu'Östlund étire ses scènes au delà du raisonnable.... Sans doute peut on dire que les gens qu'il décrit sont plus proches de ceux que je rencontre qu'un douanier lillois débile; on ne se moque bien que de ceux qu'on connait....
Ca se passe dans un Musée d'Art Contemporain (En Suède ... où il y a des mendiants partout, pleurnichards ou arrogants, contrepoints à l'univers doré où évoluent les héros du film) et dès le début, au vu des oeuvres présentées [par exemple un arrangement régulier de tas de graviers, sous le titre "nous ne sommes rien", qu'un technicien de surface va bousculer avec se machine à lustrer, l'ignare! agression flagrante à la créativité] je me suis crue à la Biennale d'Art Contemporain de Lyon, que je visite assidûment tous les deux ans.
Le magnifique Claes Bang qui promène à peu près sur tous les plans sa belle gueule, sa grande carcasse et ses mimiques à la Cary Grant en est le directeur, de ce Musée, Christian -par ailleurs père divorcé de deux charmantes minettes. Au début du film il se fait avoir comme une bleusaille par un trio d'escrocs qui attire son attention sur la fausse agression d'une jeune femme pour mieux le délester de son portefeuille et de son smartphone. Le smartphone est localisé dans un HLM d'un quartier pourri, et pour le récupérer l'adjoint de Christian a l'idée d'une fausse lettre de menaces à distribuer dans les boites aux lettres. Faut voir la terreur avec laquelle les deux se rendent dans cette endroit mal famé (dans la voiture électrique de Christian, évidemment) qu'ils n'auraient jamais eu l'idée de fréquenter autrement - une de ces petites notes sociologiques qui parsèment le film. Mauvaise idée: cela va entraîner une cascade de problèmes dont vous jugerez sur place. En plus, Christian est harcelé par Anne (l'excellente Elisabeth Moss) une journaliste américaine avec qui il a eu la mauvaise idée de coucher alors qu'il était fin saoul à la suite d'un vernissage. [Conférences de presse et interviews hilarantes rythment le film; je vous recommande tout particulièrement celle où assiste un amateur d'art..... atteint du syndrome Gilles de la Tourette.] Et tout cela alors qu'il est dans un moment capital de sa carrière: présenter une nouvelle oeuvre très importante: un carré blanc tracé à terre, lourd de symboles. Qu'on en juge par la prose de sa conceptrice "Le Square est un sanctuaire où règnent confiance et altruisme. Dedans, nous sommes tous égaux en droits et en devoirs".
Il faut donc organiser une campagne de pub qui frappe les esprits. Deux jeunes créatifs ont une idée: provoquer en montrant le contraire de ce que Le Square veut promouvoir. Montrer une petite mendiante bien suédoise, bien blonde traînant sa couverture souillée (pour corser le tout on lui met un chaton dans les bras, on connait bien l'effet chaton sur les réseaux sociaux..) qui rentre le carré..... et explose. Autrement dit, les créatifs pubeux en prennent tout autant pour leur grade que le petit monde des amateurs d'un "art" qui passe surtout son temps à se regarder le nombril....
Le film culmine lors de la scène du grand dîner (smokings, robes longues) des actionnaires du musée où un artiste (Terry Notary) présente une performance: il joue les gorilles, suscite la gêne (sourires crispés lorsque le faux singe s'arrête à une table), puis le malaise (mais c'est le but de la performance!), puis dépasse les cadres de sa prestation, ca finit en jeu de massacre, et la lâcheté des assistants nous évoque une certaine Snow Therapy....
Ce film d'un brillant exceptionnel, d'une cruauté feutrée, se moque d'une certaine bourgeoisie cultivée qui se rengorge de sa supériorité, qui s'imagine donner des leçons. Il est très finement drôle mais, je le répète, il prend son temps; et sans doute faut il connaître un peu ce milieu là pour vraiment s'en amuser.