Après Fatima, que j’avais beaucoup aimé, portrait plein de tendresse et non dénué d’humour sur une mère courage, femme de ménage marocaine vivant en France, prête à tous les sacrifices pour assurer l’avenir de ses deux filles, film qui lui a valu un César, Philippe Faucon esquisse un portrait sensible et plein de pudeur de l’exil et de la solitude, dans les pas de Amin, ouvrier sénégalais formidablement interprété par Moustapha Mbengue…Amin n’est pas simplement le pendant masculin de Fatima, c’est le portait d’un écartement géographique et mental, d’une solitude contemporaine…Amin est un immigré, mais un immigré installé depuis plusieurs années, il a laissé femme et enfants au village, et fait vivre par son travail d’ouvrier du bâtiment, sa famille mais aussi une partie du village en récoltant de l’argent pour son école…sa famille souffre de cette séparation et vit dans le mirage d’une France certainement idéalisée, et Amin veut leur épargner la désillusion de la réalité …il vit dans un foyer de Saint Denis au milieu d’autres travailleurs exilés aux parcours divers, physique imposant mais du genre taiseux …le va-et-vient entre les deux pays est une fatalité, un non-choix…Amin revit au pays au milieu des couleurs flamboyantes des marchés et des femmes en boubou , il est plus éteint et résigné sur son chantier ou son foyer…
Sur un chantier, Amin rencontre Gabrielle, incarnée avec beaucoup de justesse par Emmanuelle Devos, infirmière divorcée et mère d’une ado un peu revêche, avec qui il noue une liaison, non sans quelque incompréhension pour leur entourage. Union de deux âmes esseulées, rencontre de deux déshérences affectives, intrigue simple voire banale, filmée avec beaucoup de pudeur et de délicatesse… parenthèse heureuse dont la raison sonnera le clap de fin…trop tôt pour Gabrielle dont le divorce est trop récent, trop tard pour Amin qui a sa famille au pays…
Philippe Faucon sait aussi donner de l’épaisseur aux seconds rôles qui révèlent une diversité de situations liées à ces vies de déracinés…Abdelaziz (Noureddine Benallouche) qui, lui, a construit une seconde vie en France et y a eu d’autres enfants, et qu'’une de ses filles française, qui a fait des études, vient aider à remplir sa demande de retraite pour découvrir que son père a trop souvent été exploité et employé au noir... Sabri (Jalal Quarriwa), qui un soir se paie les services d’une prostituée avec qui il n’arrivera pas à conclure, autre pendant d’une misère sentimentale …
Sans oublier, Marème N’Diaye qui joue Aïcha, la femme de Amin et qui se révèle une formidable actrice…
Par son style épuré qui ne laisse aucune place au sensationnalisme, Philippe Faucon a réalisé une œuvre d’une sensibilité et d’une cohérence remarquable…Par une émotion judicieusement distillée, il parvient, si nous l’étions déjà, à nous sensibiliser au sort de ces exilés de la vie quels qu’ils soient. Personnellement j’ai beaucoup aimé et je vous le conseille ce film sobre et fort…