Mary Harron propose avec American Psycho une œuvre complexe, où l’horreur psychologique et la satire sociale s’entrelacent dans une danse fascinante mais parfois maladroite. Entre la performance magistrale de Christian Bale et des choix narratifs audacieux, le film capte l’attention, mais peine à maintenir une cohérence qui aurait permis de le hisser au rang de chef-d’œuvre.
L’incarnation de Patrick Bateman par Christian Bale est la pierre angulaire du film. Avec une précision glaçante, Bale donne vie à cet antihéros vide de sens, prisonnier de son propre narcissisme et de ses obsessions matérialistes. Sa maîtrise des expressions faciales et des changements d’humeur rend chaque scène captivante, qu’il soit dans un bureau immaculé ou couvert de sang. Il excelle dans les moments où l’absurde de son personnage rencontre une violence aussi brutale qu’inattendue. Cette performance, à elle seule, maintient l’intérêt du spectateur.
American Psycho brille lorsqu’il dépeint la superficialité et l’avidité des années 1980, notamment à travers la compétition ridicule entre collègues pour des cartes de visite ou des réservations dans des restaurants luxueux. La satire est incisive, capturant une époque obsédée par les apparences et les marques. Cependant, cette critique perd parfois de sa pertinence à mesure que le film avance, cédant la place à des scènes qui privilégient le choc visuel plutôt qu’une réelle introspection.
Visuellement, le film est un régal pour les amateurs de détails. Les décors, les costumes et la musique plongent parfaitement dans l’univers glacial des yuppies new-yorkais. La mise en scène de Harron est efficace dans sa capacité à juxtaposer élégance et horreur, en particulier dans les scènes où la violence émerge soudainement du quotidien. La séquence où Bateman danse sur Hip to Be Square avant de commettre un meurtre est un exemple brillant de cette dualité. Cependant, certains choix stylistiques, notamment dans la deuxième moitié du film, tombent dans un excès qui dilue l’impact.
Le scénario, bien que captivant dans sa première partie, s’effiloche à mesure que l’histoire avance. L’ambiguïté volontaire autour des crimes de Bateman — sont-ils réels ou le fruit de son imagination dérangée ? —, bien qu’intéressante, finit par frustrer. Cette confusion narrative donne l’impression que le film ne sait pas vraiment comment conclure, laissant des questions sans réponses et des thématiques sous-développées.
Bien qu’il aborde des sujets tels que la déshumanisation du capitalisme, la vacuité du matérialisme et les dynamiques de pouvoir, American Psycho reste trop en surface. Les interactions de Bateman avec les femmes, en particulier, auraient pu offrir une réflexion plus poussée sur la misogynie inhérente à son monde, mais le film préfère souvent s’appuyer sur des stéréotypes ou des séquences choquantes. Cela crée une tension entre la satire et la réalité brute, sans jamais trouver un juste équilibre.
American Psycho est une expérience captivante et dérangeante, mais imparfaite. Si la performance de Christian Bale et l’esthétique soignée suffisent à marquer les esprits, l’histoire elle-même vacille entre satire intelligente et chaos narratif. Un film qui fascine autant qu’il divise, et qui, malgré ses faiblesses, reste une plongée intrigante dans les ombres de l’âme humaine et les excès d’une époque.