Terrence Malick avait cessé de m’intéresser au moment même où il vivait son apothéose critique : ‘The tree of life’ et les vagabondages métaphysiques sur fond d’images léchées qui s’étaient ensuivies, très peu pour moi, et je crois que je n’avais même pas pris la peine de regarder le dernier en date. ‘Une vie cachée’, c’est le retour du réalisateur tel que je l’aimais, celui des “Moissons du ciel’ ou même de ‘La ligne rouge’, celui qui avait, non pas quelque chose à dire parce que Malick a toujours eu quelque chose à dire, y compris sous la forme d’un monologue des plus fumeux, mais celui qui a trouvé le cadre historique et thématique idoine pour y exprimer sa philosophie panthéiste et sa croyance en des forces supérieures abstraites. Bien sûr, on y retrouve ces longs plans fixes obligatoires sur la nature, le lever du soleil, le babil d’un ruisseau, les fleurs et l’herbe qui ondulent doucement sous le vent. C’est toujours aussi beau mais à force, cette façon de procéder a viré au gimmick. Il y a toujours cette voix off, majoritaire tout au long du film, même si elle reprend les interrogations existentielles du personnage et ensuite, les lettres que lui et sa femme échangèrent durant sa captivité. Ce personnage, justement, c’est Franz Jaggerstätter, un humble paysan autrichien qui en arriva à la conclusion que son devoir de chrétien, celui de refuser toute association avec ces symboles du mal qu’étaient Hitler et le nazisme, primait sur toute autre considération. Il lutta silencieusement, anonymement, sans jamais chercher à transformer sa lutte personnel en cause collective, subissant stoïquement l’opprobre populaire et l’ostracisme social, refusant le plébiscite pour l’Anschluss, les dons aux veuves de guerre et finalement l’incorporation, ce qui lui valut la captivité et finalement, une condamnation à mort. La voix off souligne les réflexions, les hésitations et les doutes de ce catholique fervent soumis à une pression sociale insoutenable puis à une véritable Passion à laquelle il aspire peut-être secrètement. Les images naturelles s’insèrent tout naturellement dans cette conviction qu’il existe quelque chose de plus grand, de plus immuable et éternel que les contingences historiques, économiques culturelles humaines, forcément provisoires. ‘Une vie cachée’, intimiste, introspectif au sens noble du terme, qui ne dévoile la brutalité du régime nazi et l’ensauvagement de ceux qui crurent devoir y adhérer que comme des éléments périphériques, qui ne peuvent entamer les convictions portées par Jaggerstätter et son épouse, en acquiert une puissance d’évocation inouïe, que Malick n’avait peut-être jamais atteinte jusqu’ici, et qui trouve sa justification intellectuelle dans la citation de George Elliott mise en exergue avant le générique final : “Si les choses ne vont pas aussi mal pour vous et pour moi qu’elles eussent pu aller, remercions-en pour une grande part ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes que personne ne visite plus”.