Stephen Frears retrouve la merveilleuse actrice Judi Dench (grâce à laquelle il a réussi son avant-dernier film, le formidable « Philomena ») et lui confie le rôle le plus lourd à porter pour une actrice anglaise, celui de la reine Victoria au seuil se sa vie. En mettant en lumière cette histoire méconnue et probablement étouffée par le carcan de la monarchie anglaise pendant plus d’un siècle, Frears a trouvé une fois de plus l’occasion de filmer une femme forte, une femme de caractère (après Tamara Drewe, Florence Foster Jenkins, et Philomena, dans des genres différents), qui défie une société, une morale, une atmosphère austère. L’époque Victorienne est probablement l’époque la plus psychorigide de l’histoire contemporaine britannique et tout dans la façon de Stephen Frears de filmer la Reine, la cour, l’étiquette, le rappelle avec cruauté. Le film de Frears est tout à fait maîtrisé, bien filmé, bien photographié, sans trop de temps morts. La musique est agréable mais un peu anecdotique et son film passe bien, même si la fin tire un peu en longueur et même si elle flirte avec un pathos qui nous avait été soigneusement évité jusque là. Le casting est surtout dominé par la prestation de Judi Denché, immense actrice britannique qui compose une reine physiquement très affaiblie, mais dont le caractère bien trempé ne souffre aucune discussion. Cette vieille dame, écrasée par le poids des ans et des responsabilités et qui n’a plus gout à rien depuis la mort de son mari, retrouve une certaine allégresse au contact de ce bel étranger. Elle en pince un peu pour lui, c’est évident, et comme toutes les femmes charmées par un homme, elle se pique de passer du temps avec lui, de mieux connaitre son pays, sa langue, sa culture, elle rajeunit à vue d’œil ! Il faut dire qu’il y a de quoi être charmée par le très bel Ali Fazal. Il interprète un Abdul immédiatement attachant, vif et pas du tout habitué aux convenances anglaises, il ose regarder la Reine, il ose lui parler, il ose même la faire danser et lui prêter son bras, chose absolument impensable même aujourd’hui à la cour d’Angleterre. C’est un jeune homme qui ose, qui ose s’attacher à la souveraine d’un Empire qui traite bien mal les indiens en général et les indiens musulmans en particulier. Le film insiste sur l’audace de Victoria pour imposer cette amitié improbable, mais elle n’insiste pas tellement que le fait que pour lui aussi, cette amitié peut poser problème, par rapport à tout ce qu’il est : un sujet de l’Empire colonial, d’une confession différente. C’est un sujet ébauché par le personnage de Mohammed, l’indien qui l’accompagne et lui reproche de « pactiser avec l’ennemi colonial » en quelque sorte, mais de façon assez anecdotique. Frears choisit de focaliser que l’amitié de deux personnes plutôt que sur le rapprochement de deux cultures, même si l’un provoque forcément un peu l’autre. Les seconds rôles, hormis l’infortuné Mohamed bloqué en Angleterre à son corps défendant, est composé de comédiens qui jouent parfaitement bien les anglais choqués, offusqués, exaspérées et finalement, un peu haineux. Le scénario de « Confident Royal » (je préfère le titre original, comme souvent « Victoria and Abdul », cela fait penser à « Roméo et Juliette » !) n’est pas très compliqué à suivre, et l’on sait très bien comment cela va se terminer, d’ailleurs le Reine comme Abdul le savent bien aussi, il n’y a pas de happy end pour une histoire si particulière et ce qui devait arriver ne manque pas d’arriver. Si Stephen Frears, de son propre aveu, à romancé cette histoire vraie, il cherche d’abord à filmer l’amitié d’un jeune homme envers une vieille dame qui pourrait être sa grand même et une veille dame envers un jeune homme désintéressé, elle qui a eu 9 enfants et qui supportaient mal de les voir piaffer d’impatience pour monter sur son trône. Abdul l’aime alors qu’il a tout à y perdre alors que tous les autres l’aiment parce qu’ils la craignent ou ont besoin d’elle pour obtenir quelque chose. A son contact, elle s’ouvre à la culture indienne et musulmane, et elle accepte l’épouse et la belle-mère voilées d’Abdul (d’une burqua, ce qui aurait peut-être besoin d’être vérifié historiquement !), elle fait preuve d’une ouverture d’esprit qui peut paraître un peu exagérée par moment, elle qui était si rigide sur la morale et arc-boutée sur la tradition anglicane. Mais si Stephen Frears appuie un peu trop son propos en tordant le coup à une certaine vérité historique, on ne lui en tient pas rigueur parce que son film est agréable, drôle parfois, émouvant souvent et met en exergue une ouverture à l’autre qui semble de moins en moins dans l’air du temps. Un joli petit film historique sans prétention mais plein de bonnes intentions, peut-être parfois tenté d’un faire trop, mais qui mérite le détour du cinéphile un peu curieux et ouvert d’esprit.