Au registre des comédies, on peut distinguer, grosso modo, deux façons de s’y prendre. La plus simple, c’est de lorgner du côté de l’humour facile, des mots d’esprit qui, même s’ils sont totalement éculés, font toujours rire le public, voire de la simple grivoiserie, et cela donne – prenons un film au hasard – quelque chose comme « Le Sens de la Fête » de Éric Toledano et Olivier Nakache. C’est drôle, dans une piètre mesure, mais il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat ! L’autre manière, c’est celle qui emprunte les voies de la subtilité, voire de la finesse, si ce n’est de la délicatesse ou de l’élégance et cela donne, par exemple, cet attachant nouveau film de Stephen Frears. Je n’ai pas besoin de préciser, je suppose, où va ma préférence.
Nous voilà donc transporté à la cour d’Angleterre à la fin du XIXème siècle, alors que s’achève le plus long règne de la couronne britannique, celui de la reine Victoria. Incarnée à l’écran (et avec quel talent !) par Judi Dench, la souveraine n’est pas seulement reine de Grande-Bretagne main impératrice des Indes. C’est pourquoi l’idée vient aux proches de Victoria (qui s’en mordront les doigts) de faire venir d’Inde deux serviteurs chargés de lui remettre un cadeau à l’occasion de son jubilé. L’un des deux se nomme Abdul Karim et il ne passe pas inaperçu. Sa prestance et son élégance font impression, y compris sur la reine. Il faut dire que l’homme a contrevenu aux ordres stricts qu’il avait reçus : il a osé regarder Victoria ! Un coup d’œil qui n’a pas échappé à cette dernière, au point que, se moquant totalement de l’étiquette et des bienséances, elle va faire d’Abdul un conseiller, un proche et même un maître chargé de lui enseigner la langue (ou plutôt une des langues) de son pays.
Si cette amitié inattendue donne à Victoria un regain d’énergie et de bonne humeur, il n’en va pas de même, loin s’en faut, du côté du premier ministre, des différents conseillers, voire même des serviteurs de la reine. C’est l’affolement. Que la reine (dont on a découvert, dès les premières scènes, qu’elle se soucie peu des convenances) s’éprenne d’un intrus venu d’une lointaine colonie, cela passe la mesure ! On s’amuse beaucoup, tout au long du film, en découvrant les mines scandalisées de ceux qui assistent, impuissants, à la naissance et au développement d’une amitié non seulement inattendue mais extrêmement choquante (à leurs yeux, bien évidemment). Les intrigues vont bon train, mais on a beau faire : même les quelques déconvenues qui émaillent l’histoire de cette surprenante proximité ne découragent pas la reine ! Elle agit en véritable souveraine qui n’a que faire des visages renfrognés de ses proches (y compris de celui de son fils, le futur Edouard VII) et ne cède jamais aux ni au dédain ni au racisme de son entourage. Belle leçon de la part d’une reine en fin de parcours : une leçon qui donne à cet excellent film une empreinte de subtile noblesse ! 8/10