Ce n’est pas tous les jours que j’ai le sentiment d’assister à l’émergence d’un réalisateur qui fera parler de lui dans les prochaines années : Jim Cummings, homme-orchestre du film, à la manoeuvre à la réalisation, au scénario, à la musique, au montage, et dans le rôle principal. Il n’y a vraiment que le titre du film qu’il a laissé à Bruce Springsteen, en référence à une des sempiternelles odes du Boss dédiée à l'exil vers d’autres horizons L’intro, qui reproduit le court-métrage du même nom sorti voici quelques années donne le ton : Jim, flic au Texas, se prépare à faire un discours à l’enterrement de sa mère. Stressé, bouleversé, maladroit, sa tirade, celle toute simple d’un fils aimant, ne tarde pas à partir en vrille, se teinte d’humour involontaire avant de devenir clairement malaisante. Ce n’est que le début des ennuis pour Jim, qui va voir tout ce qui peut tomber sur la tête de quelqu’un dégringoler sur la sienne, et y réagir à chaque fois de la manière la moins appropriée possible. D’habitude les pitch comme celui-là sont le fait d’auteurs/réalisateurs qui, soit détestent leurs personnages, soit les aiment trop : quand il s’agit d’un film de débutant comme ‘Thunder road’, soit on se repaît avec gêne du malheur des personnages, soit on finit par s’irriter de leurs appels insistants à la compassion. Ici, les choses sont très différentes car on ne sait pas vraiment que penser de ce pauvre Jim, mélange de droiture et de faiblesses bien humaines, mû par une claire volonté de bien faire et d’une maladresse ahurissante, qui craque constamment sous la pression avec une puérilité d’enfant submergé par des contingences qu’il ne comprend pas, et qui a du mal à partager ses galères avec ceux qui pourraient lui venir en aide. Il y a de la masculinité toxique là-dessous mais il y a surtout de la masculinité pathétique. Alors que l’exposition des fêlures du personnage est intimiste, les crises de Jim sont burlesques et grandiloquentes, c’est de ce tiraillement perpétuel que naît la petite musique singulière du film, qui donne vraiment envie de découvrir ce que fera Jim Cummings dans les prochaines années.