Parti pour vivre ses aventures horrifiques en solo après ses collaborations avec Alexandre Aja ("P2" et surtout le remake de "Maniac"), la volonté d'émancipation de Franck Khalfoun s'était prise de plein fouet la malédiction "Amityville" avec "The Awakening", un film loin d'être honteux dans ses intentions mais que l'on sentait hélas victime de la broyeuse hollywoodienne pour en faire un produit ultra-polissé du genre.
On retrouve aujourd'hui le réalisateur français avec "Prey", une production Blumhouse qui en rappelle fortement une autre sortie avec un mois d'écart (aux USA), "Sweetheart" de J.D. Dillard. Provenant du même studio et mettant en scène une confrontation entre un héros et une mystérieuse présence sur une île déserte, la comparaison entre les deux longs-métrages apparaît de fait inévitable. Et, comme on a plutôt apprécié "Sweetheart" en amont, on espère de "Prey" qu'il soit de la même veine ou, mieux, qu'il le surpasse en remettant la carrière de Franck Khalfoun sur de bons rails...
Marqué par une tragédie familiale, un adolescent part suivre une thérapie de développement personnel qui se conclut par une épreuve de survie durant trois jours sur une île inhabitée de Malaisie. Au cours de la première nuit, il subit l'attaque d'un étrange être affublé d'un crâne de bouc...
En premier lieu, pour bien situer les choses, rappelons ce que l'on avait apprécié dans "Sweetheart" : un point de départ allant à l'essentiel avec une naufragée perdue sur une île au milieu du Pacifique, de bons partis pris pour nous faire partager son isolement sur la durée, une héroïne attachante construisant peu à peu sa condition sa survivante tout en gardant des failles bien humaines, une montée en puissance prenante des apparitions de la menace, une portée métaphorique légère mais pas bête sur le combat à mener, des rebondissements bien placés afin de relancer l'intrigue ou encore un final réussi... Bref, sans avoir la prétention de devenir un incontournable du film de monstre, "Sweetheart" tirait une vraie force de son apparente simplicité pour devenir une honnête série B du genre dont l'efficacité ne pouvait que gagner notre sympathie.
Si "Prey" avait suivi une approche et un cahier des charges similaires, nul doute qu'il aurait emporté notre adhésion immédiate... Mais non, le film de Franck Khalfoun va préférer s'acharner à faire tous les choix contraires possibles jusqu'à devenir la parfaite -et donc très médiocre- antithèse de "Sweetheart".
Dès les premiers instants, il suffit juste de s'arrêter sur le postulat complètement idiot qui amène Toby, l'adolescent de "Prey", à se retrouver seul sur une île. On a beau chercher à rationaliser dans tous les sens, on ne voit pas trop quelle organisation aurait l'idée d'envoyer un jeune américain au bout du monde dans le but de le guérir de ses traumas et le lâcherait au final sur une île inhabitée sans qu'aucune vérification ne soit effectuée au préalable pour assurer sa sécurité (on n'imagine même pas les soucis niveau assurances). À moins que la mère de Toby ait eu pour objectif secret de se débarrasser de son fils ou qu'un Pascal le Grand Frère particulièrement sadique fasse partie du coup, cette "thérapie" apparaît tellement absurde qu'il est juste impossible d'y croire une seule seconde. Une impression qui sera d'ailleurs renforcée par un montage catastrophique, rushant cette mise en place sur la forme de manière invraisemblable autant qu'elle l'est déjà sur le fond.
"Prey" part donc très mal et il ne faudra pas compter sur son héros aussi antipathique que stupide ou son évolution caricaturale pour rattraper la mise. Présenté d'abord comme une palourde comateuse incapable du moindre esprit de survie, Toby (Logan Miller) va se transformer d'un coup de baguette magique en aventurier de l'extrême. On pourrait le comprendre vu la gravité et la caractère extraordinaire des épreuves sur sa route mais on ne peut pas éluder le fait que cette transformation radicale se déroule en à peine quelques jours et qu'encore une fois, les séquences pour nous le faire accepter sont le fruit de rapides montages clippesques où Toby se la joue soudainement à la "Man Vs Wild" comme touché par la grâce du survivant. Quant au ressenti de son isolement qui aurait pu un minimum le rendre attachant aux yeux du spectateur et faire avaler la pilule sur le reste, ne comptez pas là-dessus, le film se montre incapable de nous faire partager sa condition (ou de l'installer sur la durée, le temps passé sur l'île n'a très vite plus aucune importance) et préfère utiliser avant tout les rebondissements de son intrigue comme GPS à son déroulement ou à son ambiance. Enfin, concernant cette dernière, si l'on excepte quelques séquences nocturnes d'angoisse très communes, le terme en lui-même semble un bien grand mot pour définir le peu que le film a à offrir à ce niveau.
Et, ne vous attendez pas à non plus à déceler un grand sens caché derrière toute cette histoire, les quelques flashbacks voulant apporter de la profondeur ou le vague parallèle que l'on peut faire entre Toby et d'autres personnages prêteront plus à sourire qu'autre chose...
À ce stade de nullité, il ne reste donc plus que les ingrédients du mystère principal de "Prey" auxquels se raccrocher. Bon, passons sur le fait que Toby se montrera toujours aussi stupide pour chercher à en comprendre les tenants et aboutissants (on suppute que ses hormones d'adolescent justifient à elles seules qu'il ne s'interroge pas tout de suite sur le sens de la situation mais bon, c'est dur à avaler...) ou que les événements auront pour effet de constamment casser le côté "inhabité" de cette île et arrêtons-nous sur le contenu proposé.
Une fois que tout sera exposé, il sera bien difficile de ne pas y voir une nouvelle déception. "Prey" repose en effet sur quelque chose de très classique, de presque connu par avance pour n'importe quel amateur de cinéma d'épouvante, cependant, il l'inscrit dans un contexte qui ne lui est pas forcément propre et le raconte en quelque sorte à rebours des canons habituels afin de construire son mystère. En tant que fan blasé par ce genre d'intrigue, on pourrait reconnaître à "Prey" l'effort qu'il cherche à faire pour se différencier sur sa proposition mais, en réalité, le film se contente simplement de nous la servir d'une manière différente sans jamais bousculer les codes qui la définissent. D'ailleurs, après avoir levé le brouillard, le dernier acte deviendra le meilleur symbole de ce qui est au mieux une simple astuce scénaristique. L'affrontement final sera dans l'incapacité totale d'offrir quoi que ce soit d'inédit ou, au moins, d'imprévisible jusqu'à un épilogue terriblement fatigué.
Enfin, comme sur une cerise sur ce très mauvais gâteau, le design très ordinaire de la créature au cœur de "Prey" et l'indigence de la mise en scène pour la dévoiler ne feront qu'asseoir le statut du film au rang des plus médiocres productions Blumhouse de ces dernières années...
Aïe, cette fois, Franck Khalfoun touche définitivement le fond avec un "Prey" dont il n'y a rien à sauver. Si on ne comprenait pas pourquoi "Sweetheart" n'avait pas encore débarqué en France au vu de ses qualités parmi la pauvreté de l'offre Blumhouse actuelle, on se pose nettement moins de questions pour "Prey". À vrai dire, on prie juste pour que le film soit très vite oublié et que Franck Khalfoun nous revienne en bien meilleure forme.