Quelle déception ! Alors certes, beaucoup de fans de Kaamelott sont certainement assez exigeants envers Alexandre Astier, au vu de la qualité de son travail (surhumain) jusqu'ici.
Que l'on parle de la série Kaamelott elle-même qu'il a su faire évoluer d'une succession de gags, de bon mots et de situations désopilantes vers une histoire plus dramatique, plus fouillée, mais tellement bien amenée (surtout le livre VI qui est selon moi le plus abouti). Que l'on parle de ses spectacles "Que ma joie demeure" et "l'Exoconférence"; que l'on parle de ses participations a des discussions avec Etienne Klein ou tout autre scientifique; ou que l'on parle de son talent de musicien/compositeur/arrangeur de très haut niveau; c'est de l'or en barre, un foisonnement de drôlerie, d'intelligence et de tempérance. Bref Alexandre Astier est un ovni dans le paysage français, relevant le niveau de 10 crans à chaque apparition, par rapport à ce qu'on a l'habitude de voir et entendre ces dernières années.
C'est pourquoi le résultat de Kaamelott Premier Volet est imcompréhensible. Comment quelqu'un d'aussi doué, d'aussi érudit, d'aussi fin, peut-il faire preuve d'autant de paresse intellectuelle lorsqu'il a l'occasion, le budget, le matériel et les équipes qui lui aurait permis de nous montrer toute l'étendue de ses talents ? La bande originale et la photographie mise à part, toutes les scènes ne m'ayant fait qu'esquisser un sourire figurent dans la bande annonce, et de ce fait tout le monde s'est fait spoiler les très rares moments Kaamelottiens contenus dans ce film, et ce depuis des mois. Cet état de fait n'aurait été très gènant s'il y avait eu bien plus de trouvailles et de créativité sur l'écriture des personnages et des dialogues.
Le jeu de la plupart des acteurs est totalement outrancier, quasiment tous les personnages historiques passent leur temps à littéralement "gueuler" du début à la fin, seuls les "nouveaux" semblent avoir une certaine mesure et faire preuve d'un peu de finesse dans leur jeu (Guillaume Galliène, Clovis Cornillac, et le fantastique bien que passant comme une étoile filante Alain Chabat), et quand ils ne passent pas leur temps à "gueuler", les autres (Lionel Astier, Joelle Sevilla, Thomas Cousseau, entre autres) sont absents voire transparents pour ce dernier, ce qui est problématique pour l'antagoniste principal de l'intrigue.
Je me souviens qu'Alexandre Astier, parlant du jeu de son idole Louis de Funès, disait que l'on peut jouer de façon outrancière mais toujours juste. Mais si Louis de Funès était souvent "juste", c'est parce que son personnage était en collision permanente avec les autres personnages, ce qui équilibrait le propos tout en créant des situations extrèmement jouissives et drôles. Si par contre tout le monde est outrancier, cette figure de style de marche plus, et très peu de personnages de Kaamelott la série étaient dans cette outrance gratuite et dénuée de sens, hormi le Répurgateur, vite oublié des fans et d'Alexandre Astier lui-même, bien lui en fasse, et plus tard et de façon assez incompréhensible ce fût le tour de Perceval.
Ce qui faisait aussi l'efficacité de Kaamelott la série, c'était le décalage permanent des personnages avec la gravité et le sérieux du postulat de départ, retrouver le Saint Graal, offir la Lumière pour tous et souder plus encore le royaume de Logres. Ce décalage était mis en exergue par la mauvaise foi de certains personnages jouant sur deux tableaux (le roi Loth, Leodagan et Dame Séli), la maladresse d'autres (Merlin, Yvain et Gauvain), la "débilité" (en fait plus l'immaturité exceptionnelle) d'autres encore (Perceval et Karadoc). Ainsi pour paraphraser le Roi Arthur lors d'un des épisodes Unagi, "c'est systématiquement débile mais toujours inattendu, et pour quelqu'un comme moi qui ai tendance à la dépression, ce que vous faites est très important pour la santé du cigare !".
Mais où est passé l'inattendu dans Kammelott Premier Volet lorsque que le Roi Burgonde, une des trouvailles absolue de la série en terme de décalage, se contente de "gueuler" à tout va "troupaskaya !", et seulement ça, tout le long du film ? Où est passé l'inattendu lorsque Perceval, devant une serrure à ouvrir sort la même vanne mot pour mot que celle sortie dans la même situation durant un épisode de la série ? A cet instant je me suis dit "Non, il ne va pas dire la même chose cette fois ?!" et bien si, dans le mille, et du coup on repassera pour l'inattendu, pour la créativité, quand Alexandre Astier nous a tant habitué à nous "cueillir" par ses trouvailles de dialoguiste en se répétant assez rarement, et lorsqu'il le faisait, c'était des variantes pour justement approfondir la situation cocasse (par exemple, les défis de Merlin, l'incapacité de faire des blagues du même personnage, les repas en famille, les batailles, les réunions de la Table Ronde). La trame était peu ou prou la même, le ton semblable, mais jamais le même texte ni le même déroulé. Et tout ça en écrivant la plupart des dialogues la nuit ou le matin même, pour tournage dans la foulée, si on en crois les divers témoignages des acteurs à l'époque.
Et c'est peut-être là la kryptonite d'Alexandre Astier, cette fois il a vraiment eu le temps (12 ans) d'écrire, de ciseler les dialogues, de s'imprégner du quotidien pour en retranscrire le côté absurde et décalé dans les situations et les dialogues, comme il l'a fait avec brio dans le livre VI, ce qui n'est pas incompatible avec une vraie histoire, pleine de ressorts narratifs, un côté dramatique, comme nous l'a justement montré ce livre VI. Mais peut-être que d'avoir (trop ?) le temps, M. Astier est tombé dans un piège, comparable à celui qui s'est refermé sur les créateurs du jeu vidéo Duke Nukem, où la profusion de moyens et le confort gagné par le succès, à abouti à un désastre pour l'opus suivant; à toujours vouloir faire "mieux" cela les a détournés de la recette pour faire "bien".
Enfin, du côté des personnages, pourquoi en mettre certains très fameux (Père Blaise, le Roi Loth, Elias, le Jurisconsulte, qui était plutôt bon dans la série en plus) au générique, pour qu'in fine il ne servent pas l'histoire et se contentent de sortir deux ou trois banalités (souvent en gueulant, encore une fois) n'ayant aucun incidence sur le déroulé de l'intrigue ?
Je ne parlerais pas du montage ni de la réalisation, car d'autres sont bien plus à même de voir ce qui serait à améliorer le cas échéant, mais vous l'aurez compris, j'en ai gros, et si j'en ai si gros c'est parceque le décalage entre ce que vous nous avez montré jusqu'ici M. Astier, était d'une si grande qualité, d'une telle justesse, que la chute n'en est que plus féroce.