Kings est en perpétuel mouvement et changement, construit une forme expérimentale à la croisée de la fiction esthétisée, de la reconstitution historique et du documentaire, en témoignent les nombreux plans sur la ville de Los Angeles en proie aux révoltes tirés des reportages d’époque. La réalisatrice, Deniz Gamze Ergüven, se plaît à tout mélanger, à confondre les échelles, à croiser les trajectoires, à jouer avec la temporalité par des prolepses et des enchâssements, donne vie à une forme-sens aussi sensible et instable que la situation affective et politique des habitants. Les personnages semblent ainsi saisis dans la brutalité de leur quotidien, saisissement qui ne s’apparente pourtant pas à un figement puisque tous, de Millie à Obie, ne cessent d’aller et venir, d’entrer et sortir, de partir à la recherche d’un enfant, allant jusqu’à escalader le lampadaire qui fait face à un supermarché. Voici leurs manies captées par la caméra, des baisers donnés par milliers aux enfants aux bouteilles d’alcool sifflées : Halle Berry et Daniel Craig sont magistraux dans leurs rôles respectifs, leur apportant authenticité, sensibilité et rugosité. Et le long métrage qu’ils portent constitue, lui, une pleine réussite formelle, tant du point de vue de sa mise en scène que du point de vue de son travail visuel et sonore, fort d’une photographie magnifique que signe David Chizallet – déjà présent sur Mustang. La composition picturale des plans, comprenant les couleurs, la lumière et le choix des textiles et vêtements, participe à la fascination d’un spectacle lumineux, tragique et comique à la fois, dans lequel s’emmêlent les tonalités comme autant de variations sur une étincelle embrasant les rues et les cœurs de l’Amérique. Kings est un incendie esthétique qui compose une forme unique apte à donner à voir et à vivre le chaos d’une insurrection. Une réussite flamboyante, desservie par une ouverture confuse et une clausule expéditive.