Qu'a-t-il bien pu arriver à Deniz Gamze Ergüven depuis son très bon Mustang ? Elle qui avait su mettre tout le monde d'accord en 2015 avec un premier film percutant, touchant et d'une finesse rare pour une première oeuvre. Son avenir s'annonçait radieux mais avec ce deuxième film se voit encombrer d'une déplaisant nuage orageux. Muni de grandes ambitions, celui de raconter une histoire intimiste d'une famille recomposée prenant place dans la grande Histoire. Les événements se déroulant avec en toile de fond les émeutes qui ont suivis le verdict de l'affaire Rodney King. Un drame adolescent sous fond de racisme et de violences policières, de quoi donner le champ libre à la réalisatrice pour offrir une oeuvre sociale aussi pertinente que son Mustang.
Malheureusement Kings est une amère déception. Un bordel sans nom qui part dans tout les sens et qui finit par n'avoir plus aucun sens justement. Alors qu'avec Mustang, Deniz Gamze Ergüven avait réussi à offrir un film très resserré et qui allait droit au but, son Kings cumule toute les erreurs d'un premier film. Il ne sait pas vraiment où il va et empile les thématiques et les directions du récit sans véritable logique et perd très vite son focus. Les événements historiques ont une approche trop documentaire et cela tranche avec les trop nombreuses ruptures de tons, le film jouant souvent la carte de la légèreté voire même de l'humour puéril ce qui donne parfois des enchaînements assez ridicules d'une scène à l'autre. Car mêlé à ça, on va suivre trois storylines assez distinctes entre celle de l'adolescent de la famille qui va se confronter à un amour chaotique rongé par la jalousie et qui va s’imbriquer à la grande Histoire lorsqu'il se mêlera à un groupe qui tente directement de faire part aux émeutes, mais aussi celle de ses petits frères puis de sa mère et de leur voisin qui font vivre aussi leur romance.
Suivre l'ensemble devient assez épuisant surtout que les tonalités varient selon l'intrigue et que certaines se montrent franchement peu nécessaire. Surtout la romance des deux adultes où le voisin blanc et excentrique apparaît presque en trop même si Daniel Craig se montre excellent dans sa manière de l'incarner. Il apporte une couche d'humour supplémentaire à un film qui en avait peut-être déjà trop.Pourtant l'humour en lui-même est souvent réussi mais il ne se mélange que très mal avec le côté sérieux de l'histoire vraie et des tournants dramatiques de l'histoire. Pourtant le film arrive aussi à viser juste, notamment dans le parcours du jeune adolescent qui fait office de personnage principal. Non seulement il se montre attachant, devant prendre des responsabilités qui ne devrait normalement pas lui incomber, il en ressort avec une certaine noblesse. Il apparaît comme plus mature que beaucoup des personnages et se retrouve en victime d’événements et d'une époque qui le dépasse. Son parcours se révèle être le plus intéressant et offre de vraies fulgurances au film, ce qui montre que Deniz Gamze Ergüven vise encore juste lorsqu'elle filme les adolescents et l'amour fraternelle.
Pourtant on s'avère aussi déçu en terme de réalisation et de mise en scène. Même si la volonté d'imposer une atmosphère chaotique et oppressante sur le récit se montre louable, notamment dans cette aspect très inévitable de la menace qui pèse sur L.A. Deniz Gamze Ergüven filmant souvent la ville sous des plans zénithaux, elle foire totalement en raison d'un montage catastrophique. Les scènes s'enchaînent comme des bribes de vie de la famille mais sans liens logiques, les ellipses deviennent confuses et les morceaux que l'on nous montre paraissent artificielles. Le film étant très court, il ne développe ni son contexte ni ses personnages et tombent dans des artifices tire-larmes ou trop forcés pour nous faire nous attacher à la famille. Quelques scènes de tensions arrivent tout de même à persister, comme certains gags visuelles bien pensés mais Kings manque d'un regard clair sur son récit. Surtout lorsqu'il tente des plages oniriques plus que ridicule, comme une séquence de rêve qui tient du malaise nanardesque, et qu'il tombe dans une fin qui n'en est pas une et qui se montre même gênante. Reste un très bon casting, même si Halle Berry offre une prestation un peu trop superficielle.
Kings est un film bien étrange. Il part dans tout les sens, manque de focus et offre des ruptures de tons aberrante surtout dû à un montage catastrophique. On dirait presque que Deniz Gamze Ergüven a oublié tout le savoir-faire mis dans Mustang et tombe dans tout les pièges d'un premier film qu'elle avait pourtant su habilement éviter avec son premier long métrage. On a aussi parfois l'impression qu'on lui a imposé des têtes d'affiches comme Daniel Craig et Halle Berry à mettre en avant, car elle ne semble jamais trop savoir quoi faire avec eux et tombent dans des situations au ridicule assez encombrant. Reste qu'elle sait encore faire un drame adolescent assez touchant, grâce surtout à un personnage principal des plus touchants. On retrouve par quelques fulgurances la réalisatrice de Mustang qui parvient encore à faire rire bêtement mais aussi à toucher au cœur, quand bien même elle gère son contexte historique avec beaucoup de maladresse. Par ces aspects, Kings arrive à éviter d'être un cuisant ratage et montre ici et là quelques belles qualités. Pas de quoi totalement le sauver, mais pas de quoi le condamner non plus. Juste assez pour faire de lui, une bien étrange curiosité.