Si Kleber Mendonça Filho définissait lui-même le splendide Aquarius comme "une sorte de Jackie Brown sans armes à feu", ce nouveau film (co-réalisé avec Juliano Dornelles) fait davantage penser à Inglourious Basterds ou Django Unchained : il s'agit d'investir un genre (une sorte de western futuriste ici) pour faire un film politique en organisant la revanche des opprimés sur les oppresseurs. Le village éponyme, situé dans le Nordeste brésilien, va donc devoir se rebeller contre un pouvoir local corrompu, lequel engage des mercenaires américains qui tentent de rayer le village de la carte. C'est d'ailleurs, après une première partie qui fait un bel éloge du métissage (sans passer par d'explicatifs dialogues mais grâce à la cinégénie des acteurs qui incarnant les indigènes), lorsque les antagonistes apparaissent que le film commence à patiner : le groupe d'américains n'est pas très intéressant car trop caricatural, même si l'une des premières scènes où ils apparaissent est prometteuse ; face aux deux brésiliens vêtus comme au carnaval (une des rares fois où le registre grotesque du film fonctionne), les Américains leur font remarquer qu'en dépit de apparences, leur peau n'est pas aussi blanche que la leur et qu'ils conservent les stigmates du métissage propre au Brésil. Scène qui rappelle celle d'Aquarius où le jeune promoteur immobilier, tombant le masque de courtoisie qu'il revêtait alors, affichait franchement son mépris pour la peau métissée de l'héroïne, et en même très tarantinesque dans sa manière de créer une situation dramatique résolue par une explosion de violence à partir de tensions raciales. Mais la séquence, certes assez réussie, n'a toutefois pas la qualité d'écriture du génial QT, et ce déficit s'avère de plus en plus gênant à mesure que le film se déploie dans une durée conséquente (2 h12 au compteur) sans pour autant expliquer grand-chose :
on ne connaîtra en effet jamais les raisons exactes qui poussent les antagonistes à attaquer Bacurau,
ce qui n'est pas gênant en soi, mais pousse quand même à se dire que le film aurait gagné en percussion et en intensité avec un montage plus resserré. Ce qui est en revanche certain concernant le village éponyme, c'est qu'il a déjà été victime de telles attaques par le passé et qu'il y est donc préparé : on pourrait le définir comme un petit village résistant encore et toujours à l'envahisseur - le mot est à prendre dans tous les sens du terme puisqu'une des habitantes de Bacurau fait remarquer que les drones utilisés par les Américains ressemblent à des soucoupes volantes - et voir dans les psychotropes pris par les autochtones une version locale de la potion utilisée par les habitants d'un certain village gaulois - le problème étant qu'il n'y a ici pas beaucoup plus de complexité politique que dans les aventures d'Astérix. Une ultime influence, la plus assumée, ressort du film : celle de John Carpenter, dont l'hypnotique thème "Night" est utilisé au moment où la résistance s'organise. "Nuit" donc, et on apprend plus tôt dans l'œuvre que Bacurau signifie "oiseau de nuit". Un oiseau de nuit qui n'agit pas de manière légale mais intègre. Les deux cinéastes se distinguent toutefois de leur modèle
lors de l'assaut final, filmé du point de vue des assaillants
(la menace est presque toujours invisible chez l'auteur d'Halloween), ce qui est malheureusement assez inopérant d'un point de vue dramatique : la catharsis visée à grand renfort de têtes coupées n'est pas vraiment au rendez-vous et le film, en dépit des belles promesses formelles et thématiques qu'il sème, s'avère finalement assez frustrant par son manque de cohérence et de rigueur.