Représentant le plus fameux du cinéma d'auteur brésilien, Klébér Mendoça Fillho réalise ici un virage impressionnant qui démontre que Genre et Cinéma d'auteur ne sont pas aussi diamétralement opposés qu'on pourrait le croire si on se fie à la réalité de la majorité de la production française ou belge. Dans les premières minutes, on reste pourtant en terrain connu, celui d'un cinéma à qui un certain degré de militantisme ne fait pas peur, même si le réalisateur choisit pour une fois d'imaginer un futur proche distopique, que son élaboration mesurée rend parfaitement crédible. On imagine évidemment que ce choix a été motivé par l'élection récentes d'un populiste fascisant à la tête de l'état. 'Bacurau' est donc un petit village isolé du Nordeste oublié des autorités, si ce n'est l'élu local qui passe de temps à autre effectuer son petit numéro démagogique, et qui voit son approvisionnement en eau et en biens de première nécessité menacé par des pressions extérieures qui ne seront jamais explicitement décrites. On passe ainsi la première heure à découvrir la population du crû, à décrypter leurs difficultés et les relations qu'ils entretiennent, et le film s'en voit doté d'une solide assise en ce qui concerne son décor et ses personnages, c'est important pour la suite. On ne met pas non plus longtemps à comprendre qu'au-delà de son approche naturaliste, 'Bacurau' est un pur Western, en raison de similitudes géographiques (la communauté isolée et quasi-autarcique, la nature environnante,...) mais aussi de l'emploi de toutes les figures imposées du genre tout au long du scénario : cercueils, diligences, alcool, saloon, pouvoirs économiques et politiques lointains mais menaçants, desperados au grande coeur,...tout est ré-interprêté à l'aune d'une réalité moderne et sud-américaine. Au terme d'une poignée d'indices qui accroissent avec talent l'incompréhension qu’on peut nourrir vis-à-vis du projet de cinéma, le coup de théâtre survient passé une bonne moitié du film : si on peut lui reprocher de ne pas être relié de façon très évidente à ce qui a précédé, la volonté de réalisme de ce qui a précédé rend cette idée assez dingue d'une inquiétante tangibilité, typique d'un cinéma d'anticipation qui préfère d’ordinaire plutôt la situer dans un futur peu identifiable. La manière dont Mendoça Fillho traite ce dernier mouvement en forme de jeu de massacre est un véritable hommage à la radicalité teintée de surréalisme qui prévalait dans certaines des oeuvres les plus radicales des années 70, celles qui laissaient des images inoubliables, pour le meilleur comme pour le pire, dans votre mémoire cinéphilique. Qu'un film de la fin des années 2010 rende à ce point hommage à la liberté de ton et une représentation de la violence qui ne soit jamais édulcorée ou esthétisée, ne peut qu'inciter à rendre hommage, à son tour, à ce véritable tour de force de Kléber Mendoça Fillho.