Sous ses dehors initiaux très naturalistes propres au cinéma Brésilien, "Bacurau" cache un film social très énervé. Dans un futur immédiat imminent qui pourrait sans peine être notre présent, au Nordeste Brésilien, le petit village très isolé de Bacurau, écrasé de soleil, peine à survivre et manque d'eau. Partout la tension est palpable, la mort rôde. Nous sommes d'ailleurs directement accueillis dès l'entrée dans le village par une grande scène d'enterrement et tout le film est littéralement traversé d'une farandole de cercueils. Pourtant, la vie s'organise, les jardins fleurissent, école et soins malgré des moyens dérisoires, ne font pas défaut, la solidarité et la bienveillance guident cette communauté arc en ciel et métissée. Les fléaux liés à la pauvreté sont là également; prostitution, criminalité, alcoolisme, folie... L'exposition prend son temps, mais on s'attache à cette communauté ouverte et tolérante par nécessité car tous sont dans le même bateau.
Puis un évènement inattendu survient. Le village a totalement disparu de toute carte sur internet ! Les réalisateurs prennent alors plaisir à brouiller les pistes en jouant avec brio sur les ambiances. Film fantastique ? D'extraterrestres
(en fait ce seront des américain dégénérés racistes et fétichistes des armes à feu)
? De fin du monde ? De siège ? Survival ? Fresque sociale ? Nanar ? On ne sait pas encore à quelle sauce on va être mangé, mais petit à petit, inéluctablement, le jeu de massacre se met en place, les morts s'accumulent d'abord de manière elliptique puis de façon de plus en plus frontale et sanguinolente. Ici point de véritable tension étirée façon élastique, les actions sont brèves, la violence hyper réaliste et parfois désarmante par son aspect anti climatique. Nous ne sommes clairement pas dans un film hollywoodien. Mais au final, les proies ne sont pas toujours celles que l'on croit. Nos villageois ont de la ressource, de la résilience et, nous le découvrons en filigranes, une longue tradition de résistance...
Tenant tout à la fois du cinéma d'auteur et d'action, bourrin et subtil, allant piocher franchement du côté de Carpenter, de Peckinpah et du cinéma social Brésilien, "Bacurau" brasse sans complexe les influences de façon étonnamment fluide. Mais il ne s'arrête pas là car la charge sociale y est sauvage et farouche. Les thèmes abordés sont innombrables et évoquent sans détour un Brésil Bolsonarien fascisant très actuel rongé par la corruption, la violence, la misère, l'incurie politique, l'injustice sociale et raciale, livré aux appétits insatiables des grandes entreprises ou de l'ogre Américain et son néocolonialisme. Il invoque l'histoire aussi et la figure du cangaçeiro propre au Nordeste Brésilien, ce bandit à la fois justicier et cruel en révolte contre l'état auquel font face les fantômes des escadrons de la mort. Le spectateur Français, de par sa grande méconnaissance de cette région du monde, pourra ainsi peut-être se sentir un peu perdu ou passer à côté de tout cela, n'y voir qu'un petit film de genre un peu bas du front, mais "Bacurau" s'avère d'une grande richesse et d'une profondeur que son pitch ne laisse pas forcément présager. Son message est politique et simple, il déborde de bienveillance pour les "petits", c'est aussi une ode à la solidarité. Pas de place pour les boucs émissaires, ici l'égoïsme et l'individualisme sont des maladies fatales. Le message alors, comme un uppercut vient nous frapper en pleine face : pour les miséreux, les réprouvés, les faibles, les malades, l'union fait définitivement la force !