Je l’ai toujours dit, il y a pour moi deux domaines qui me touchent : le sport et les arts. Deux domaines où les protagonistes ne se reposent pas sur leurs lauriers. Deux domaines où l’on se doit de se remettre sans cesse en question. Il n’y a jamais rien d’acquis. Pourtant, il n’est pas nécessaire d’être numéro UN. J’aime les acteurs de théâtre et de cinéma et respecte les sportifs de haut niveau quelles que soient leurs disciplines sportives. Deux domaines où les protagonistes souffrent et dont les larmes me touchent. Larmes de joie pour une récompense, larmes de tristesse pour une défaite. Deux domaines qui génèrent émotion, passion, frustration, déception, amour, haine, excès. Deux domaines où les protagonistes sont exposés sous les feux de l’injure, de la vindicte ou de la grâce, de l’encouragement, de l’acclamation, de la fascination. Deux domaines où les protagonistes peuvent se révéler fragiles ou fragiliser par des critiques gratuites, des quolibets puérils. Deux domaines où la chance ne suffit pas toujours, seuls le talent et le travail, l’envie pour certains d’être au haut de l’affiche font loi. «Borg/McEnroe » nous conte la finale du tournoi de Wimbledon en 1980. Je ne pensais pas que cette finale qualifiée de « légendaire » pouvait faire l’objet d’un film. D’autant que le tennis ne m’a jamais convaincu au cinéma. Ce n’est pas un sport cinématographiquement esthétique ou à défaut réussi. Le football idem. Seuls les sports de combat s’en sortent bien. Et je le dis d’emblée car ce sera mon bémol : « les séquences tennistiques » n’ont rien d’exceptionnelles. Pourtant, l’intensité est là. Elle l’est d’autant plus que le réalisateur a choisi de s’attarder sur le mental des deux joueurs et plus spécifiquement sur Bjorn Borg. Mon modèle. J’étais admiratif de ce mental de fer. De ce joueur qui ne laissait aucune marque d’émotion. Elle s’exprimait en toute fin de tournoi, quand la victoire finale était acquise. Et pourtant, je n’étais pas partisan du jeu de fond de court. Mais il savait être d’une précision chirurgicale pour des points délicats. Par contre, le jeu offensif, parfois kamikaze de McEnroe, me plaisait. Ses colères tantôt m’irritaient tantôt m’amusaient. Je me souviens de l’issue de la finale, j’avais 20 ans, je l’ai regardée dans un grand supermarché de la région parisienne mais je ne me souvenais plus du tie-break. Je croyais qu’il était situé dans le dernier set. Au-delà du fait que ce film m’a rafraîchi la mémoire, j’ai été surpris d’apprendre que Bjorn Borg était un gamin super mauvais joueur ! J’aimais le joueur mais je ne m’attardais pas sur sa vie privée. C’est pourquoi j’ai été surpris. Et le film nous montre à quel point le suédois a dû faire d’incroyables efforts pour étouffer cette rage qu’il avait en lui. Cette rage enfouie, contenue. Cependant on sent bien combien la marmite bouillonne ; et quand elle explose elle reste dans la sphère privée. On a l’impression que Borg souffre constamment pour dompter cette rage. Evidemment, j’aurais pu m’en douter, pour être numéro UN, on doit être hors du commun. Je ne me rappelle plus que l’on ait dit de lui qu’il était maniaco-maniaque. Il me semble qu’on ne commentait pas autant comme pour Nadal, les petites mimiques, et autres TOC du joueur. Apparemment, le suédois, là encore, le réservait dans son intimité. En soi, comme il n’affichait aucune émotion, il ne pouvait afficher aucun signe extérieur qui aurait pu trahir ses angoisses, ses démons intérieurs. En face, McEnroe est brut de décoffrage. Sa rage est extériorisée. Ce qui est intéressant dans ce film, on s’aperçoit au bout du compte que ces deux joueurs sont sur la même longueur d’onde. Borg comprend McEnroe. Il connaît sa rage. Il y a une séquence où sa femme pense que l’américain, tellement emporté, va rater le point suivant. Pour Borg, il pense le contraire et il a raison. Parce que Borg connaît cette rage. Connaît le mental de McEnroe, sait qu’il est un grand joueur en devenir. Et qu’il pourrait l’être plus tôt que prévu d’où son angoisse durant ce tournoi. En soi, il n’y a rien d’étonnant à ce que ces deux hommes soient devenus amis. Ce ne sont pas deux contraires. Deux opposés. Dans leur style de jeu, aucun doute, mais mentalement, ils sont proches l’un de l’autre. Après tout, n’est-ce pas le point commun de tous les compétiteurs : la gagne coûte que coûte. Et pour ça, il faut un mental de fer. Que l’on soit calme ou enragé. L’un peut déstabiliser l’autre et vice versa. Ce qui rapproche ses champions c’est leur « viscéralité ». Cette souffrance qui compresse le ventre qui hante l'esprit. Cette soif de vaincre, la détestation de la défaite, cette haine qui les poussent à vouloir être numéro UN les qualifient de joueurs hors normes.
Cette souffrance est terrible puisque l’année suivante, McEnroe prendra sa revanche et mettra fin non seulement au règne du suédois mais sonnera la fin de sa carrière. Bjorn Borg ne supportera pas d’être numéro Deux.
C’est numéro UN ou rien. A vingt-six ans le suédois prend sa retraite ! En soi, ce n’est pas tant la finale qui est en jeu dans ce film, c’est le joueur Bjorn Borg. Dans le titre, seul le suédois ressort selon moi. Interprété par Sverrir Gudnason. Bluffant de ressemblance par moments. J’ai eu l’impression que Bjorn Borg (re)jouait un pan de sa vie. Quant à Shia LaBeouf, il s’en sort très bien. Voilà longtemps que je ne l’avais pas vu aussi convaincant. On retrouve bien le joueur. Il y a une séquence après un match en conférence de presse où son personnage en a assez que l’on évoque son caractère plutôt que de parler de son jeu. Les journaleux, en ignorant sciemment le jeu de McEnroe, contribuent à entretenir la rage de l’américain. Cette scène est saisissante. Un film instructif et touchant. A voir en VO évidemment, car les colères de McEnroe se vivent et s’entendent dans sa langue… A ce propos, la finale de Roland Garros, en 1984, qui opposa Lendl à McEnroe est mythique. Elle mériterait un film. Et là, je vous promets des colères savoureuses !