Que penser de Porto ? La ville du nord, aux ponts "comme des tours Eiffel à l'horizontale" qui enjambent les eaux opaques du Douro ? La ville portugaise qui, selon la tradition, fait office de laborieuse tandis que l'une prie et l'autre se fait belle ? Non... le film. Et pourtant cette ville de quais, pas encore méditerranéenne mais pas parfaitement océanique, est la toile de fond de cette brève histoire d'amour déçu. Une toile belle, vaporeuse, aérienne, éthérée, voilée, indolente, tragiquement silencieuse. Il y a du Monet, du Sisley, du Turner dans l'esprit, dans le survol, dans l'univers balayée du regard. Il y a du Hopper quand viennent le soir et la nuit, aux lumières d'une vitrine, leurre de réconfort, évinçant pour un temps les torpeurs. Aussi sublime la photographie soit-elle, il y avant tout une histoire. La rencontre de deux âmes qui vont se perdre différemment. Deux libertés. Mais des libertés contradictoires, d'essence différente. D'un côté la liberté belle et intellectuelle, égoïste, désabusée et insouciante, qui vit le temps présent sans se soucier des conséquences du lendemain, embarrassée quand elle peut être contrariée, se sentant menacée quand le présent refuse pour un temps de devenir passé. De l'autre côté, la liberté innocente, naïve et idéaliste. Une liberté bancale et paumée qui doit apprendre que les belles oranges ne sont pas toutes douces et sucrées. Une liberté d'école buissonnière qui ne sait rien du mythe d'Icare. On n'a pas tous droit au vol léger des mouettes qui, d'un trait, passent de l'Atlantique vif aux ondes lentes du Douro. Ces deux libertés vont s'unir intensément, se séduire et finalement se séparer. Tout sera expliqué à l'aide d'un triptyque. Jake. Mati. Elle et lui. On avance et on recule. Tout est expliqué, en peu de temps (moins de 80 minutes), subtilement et par éclats. Ce qui aurait pu apparaître comme de la beauté éphémère et d'une tendre innocence, se révèle à bien des égards pessimiste, fataliste, amer, exterminateur, radicalement consumé. Cruel. Oui, cruel. On joue sur le grain de l'image, Super 8, 16 mm, 35 mm... Manière comme une autre d'expliciter l'avant de l'après; le temps qui passe. De rendre sale, d'épaissir, de troubler, de dissiper la beauté du souvenir, puis de basculer dans le présent clair et glaçant. Aussi, globalement, j'ai trouvé ce film à ravir. Simple et triste. Et pour les cinéphiles que nous sommes, il serait dommage de ne pas mentionner la présence de Françoise Lebrun, dans un rôle certes secondaire mais très révélateur quant à l'explication de la psychologie de Mati, l'héroïne du film. Choisir une actrice de la Nouvelle Vague, connue surtout pour son rôle dans "La maman et la putain" de Jean Eustache, est une clef en soi pour ouvrir l'une des portes de la subtilité de cette oeuvre douce-amère.