Voici un film bouleversant qui à n'en pas douter peut susciter des réactions diverses, de rejet comme de fascination. Ce film ne ressemble à rien de connu dans la production cinématographique actuelle. L'histoire ? On la devine par fragments, tant le récit est éclaté, surchargé d'ellipses, de sous-entendus, d'approximations qui déroutent et peuvent amener le spectateur à lâcher prise. Mais, moyennant une réelle exigence de lecture, on se trouve dans un univers passionnant où certes la violence et les flots de sang sont pratique commune mais dont l'enjeu est la mise à nu d'une âme d'écorché vif. Joe, le personnage principal - qui du reste occupe presque tous les plans du film -, est un tueur à gages qui ne recule devant aucun meurtre, fût-il sordide. Il vit avec sa mère, une vieille femme au bord de la détresse. Qui est-il ? Quelques flashbacks furtifs offrent de menus indices. Un ou deux plans dignes de "The Wall" et nous voici en pleine guerre d'Irak ; quelques plans rapprochés sur le visage incertain d'un tout jeune adolescent et c'est l'enfance de Joe qui surgit, une enfance dominée par un père violent ; plusieurs scènes de cols blancs et c'est le monde de la politique qui est rapidement évoqué mais dont on devine les turpitudes coutumières. Et Joe dans tout cela, quelle est sa mission ? Sauver une très jeune fille d'un réseau de prostitution entretenu par les cols blancs. On l'aura compris, " A beautiful day" (dont le titre original est "You were never really here", difficile à prononcer pour un Français mais beaucoup plus adapté à l'esprit du film) est une réplique de "Taxi driver". Même situation, même passé lourdement parasité, même mission à accomplir, même règne de l'ultra-violence : Martin Scorsese a fait une émule en la personne de Lynne Ramsay. Et pourtant le film que la réalisatrice nous offre témoigne d'une originalité incontestable. Le scénario d'abord présente un modèle de récit éclaté, nous l'avons déjà souligné. Autre trait distinctif, le peu de dialogues d'un bout à l'autre du film : nous avons affaire à un taiseux, pouvait-il en être autrement ? Mais ce qui fascine le plus, c'est la qualité constante de l'image : quel travail sur les gros plans, sur les éclairages, sur ce qu'on pourrait appeler la vie de la caméra ! Enfin la bande son est impeccable : la musique bien sûr, celle de Jonny Greenwood, envoûtante à souhait, mais aussi le jeu sur les sons qui peuplent le film et lui confèrent son caractère quasi initiatique. Et puis on ne saurait terminer cette critique sans saluer le travail d'acteur de Joaquin Phoenix, splendide dans son rôle de brute écorchée, jouant de son physique massif et sculptural, véritable colosse aux pieds d'argile. Oui, il a bien mérité son Prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes. Ce film est épatant, on peut vous l'assurer...