Chez Jean Grémillon, on est rarement là pour se marrer, et « Pattes blanches » ne fait pas exception. C'est désespéré, sombre voire sinistre : le réalisateur de « Remorques » et Jean Anouilh n'y sont pas allés de main morte. Ils ont eu raison, tant le spectacle est néanmoins remarquable, visuellement comme dans ce qu'il décrit. Cadrages savants, photographie magnifiquement rendue, décors bretons étonnants et subtilement exploités, musique habilement intégrée... On est régulièrement bluffé par la maîtrise impressionnante dont fait preuve Grémillon, à l'image d'une scène quasi-finale hypnotisante et là encore superbement menée. Toutefois, si la technique nous apparaît aussi étincelante, c'est aussi parce qu'elle est entièrement au service d'un récit dense, poignant, où personne ne sera épargné. Anouilh a le don pour nous offrir des héros perturbés, tourmentés, suivant principalement leurs pulsions avec des conséquences désastreuses. Difficile d'évoquer le mot « méchants », « humains » serait plus approprié, avec tout ce qui va avec : faiblesse, violence, cruauté... Cruel, voilà une expression définissant bien ce film, parsemé de situations marquantes où chacun est persuadé de maîtriser la situation alors que les événements les dépassent tous en réalité... L'interprétation ne fait que renforcer ce sentiment : Suzy Delair, garce presque malgré elle, Fernand Ledoux, brave type sans grande manière, Michel Bouquet, intense et impulsif, et surtout Paul Bernard, présence de dingue, élégance folle et diction parfaite. Bref, un classique du cinéma d'après-guerre, une référence plastique comme scénaristique : superbe.