Rarement sont portés à l'écran le rejet, l'indifférence ou la haine à l'endroit d'un enfant. Deux êtres se séparent, ils ne s'entendent plus, ils ont un fils, Aliocha. Ce prénom constitue la forme slave d'Alexis, elle-même issue du verbe grec "alexein", protéger. De protection, ils n'en ont cure pour leur garçon âgé d'une douzaine d'années. Je pensais en voyant le film, qu'Aliocha incarnait leur "faute d'amour", le témoignage d'un temps révolu, où ces deux-là s'étaient aimés. A la réflexion, une seconde lecture du titre m'est apparue. "Faute d'amour", un enfant n'a d'autre issue que de disparaître. "Faute d'amour", à défaut d'amour, on ne peut vivre. Cet homme et cette femme sont peut-être capables d'amour, probablement plus sur un mode narcissique, mais en tout cas pas à l'endroit de leur fils. Il y a chez eux une dimension totalement irresponsable. Ce qui surgir sous nos yeux, c'est combien l'amour parental n'a rien d'inné, qu'il ne va pas de soi et qu'au fond, l'enfance pour certains, relève plus de la survie psychique, que du déploiement vers un devenir adulte et autonome. Certes, le film démarre au coeur de la crise conjugale, mais les services de la protection de l'enfance mériteraient d'être sollicités en urgence. La démonstration d' Andrey Zvyagintsev, c'est que parfois certains devraient pouvoir renoncer à l'exercice de leur fonction et de leur autorité parentales. Non, retirer un enfant de sa famille, n'est pas juste un acte monstrueux. Peut-être peut-il être parfois salvateur... Un enfant vient à disparaître et sa mère semble saisir la gravité de l'absence plus promptement que le père, mais faute d'amour, il n'est d'autre issue qu'un destin funeste. Les premières images du film nous montrent un paysage enneigé, froid, désolé, magnifique parfois, mais tellement peuplé de solitude, qu'on ressent le froid en nous. Tourné en Russie, nous sommes les témoins du contraste entre des intérieurs plutôt confortables et la diffusion des actualités télévisées diffusant des images de la crise ukrainienne, je crois. L'assomption du capitalisme en Russie est clairement perceptible dans les appartements. Le couple, qui visite l'appartement des parents d'Aliocha est une caricature : elle, visiblement emballée par cet appartement, qui adresse de tendres oeillades à son mari, qui lui, visiblement en position de seul décideur, se montre pragmatique en questionnant sur la surface des pièces. Tout ça respire l'argent, tout ça "pue" l'argent de ces nouveaux riches avides de placer leur argent sans aucun état d'âme, ni sentiment d'appartenir à une société. Plus aucune notion de solidarité ne semble traverser les russes pour qui le collectif résonne sans doute trop du collectivisme d'antan, qu'ils ont chassé de leur mémoire. C'est un film éprouvant, mais qui tient aussi du chef d'oeuvre.