Les odyssées “sous influence” constituent un Genre à part entière, et l’un de ceux qui récolte le plus mes faveurs depuis que j’ai découvert ‘Easy rider’ il y a de nombreuses années de cela. La dernière expérience en date, le mémorable et fumeux ‘Inherent vice’ de Paul Thomas Anderson, plongeait au coeur de ces années 70 férues de communion astrale par les plantes : on s’amusait de ces péripéties et rencontres toujours plus barrées, dont on n’était jamais tout à fait assurés qu’elles ne relevaient pas de l’imagination embrouillée de Doc Sportello, de ces déductions qui n’en étaient pas et de ces pistes vouées à mener de moins en moins quelque part à mesure que l’enquêteur improvisé s’enfonçait dans les vapeurs de sa propre conscience fiévreuse. Orchestré par un des des plus brillants réalisateurs en activité, ce Trip plus ou moins Bad faisait mouche, son unique défaut de cuirasse étant que tôt ou tard, tout esprit cartésien ne pouvait que se révolter contre ces dérapages psychédéliques en série, désespérant d’établir une véritable logique, ou au moins un début et une fin, à ce qui ne relève que des bouffées délirantes d’un cerveau en surchauffe. Né trente an plus tard, Brecht aurait peut-être pu dire que quand le spectacle n’a plus la confiance du cerveau, il suffit de dissoudre le cerveau et d’en choisir un autre : à vrai dire, c’est un peu ce qu’on a fait cette fois-ci, pour pouvoir pleinement apprécier le nouveau film de David Robert Mitchell, qui confirme sa place dans le top 5 des réalisateurs américains les plus prometteurs. Point de symétrie parfaite avec ‘Inherent vice’ d’ailleurs, le véritable point focal du film est Los Angeles, cité-mirage et phare dans la tempête pour les fous en tous genres, capitale des excès et des débauches polymorphes, bâtie sur le sable des ambitions déçues et des rêves brisées : au commencement, il n’y a que la rumeur d’un tueur de chiens, un comic amateur cryptique et un mystérieux symbole sur le mur en guise d’indices pour résoudre la disparition d’une jolie voisine. Des preuves qui n’en sont pas mais dont, faute de mieux, Sam se contentera pour entamer des recherches erratiques dans un dédale urbain de plus en plus étrange et décalé : ‘Under the silver lake’ est l’histoire d’une dérive psychologique qui prend ses aises, puis ses distances avec la réalité, où les petites anomalies qu’on peut mettre sur le compte de l’excentricité propre à L.A. finissent par phagocyter le réel, avant d’en devenir le döppleganger. Sam se lasse porter plus qu’il ne donne l’impulsion à son enquête et accueille comme autant de présages concrets des signes qui n’en sont que dans la logique de la pop-culture dont il se gave. Le trentenaire n’est pourtant pas accro à l’herbe qui fait rire : oisif, spleenique sans même avoir conscience de l’être, il comptabilise les occasions qu’il a laissé passer et contemple la lente désagrégation des normes culturelles rassurantes d’un monde qui semble de moins en moins le sien. Que cherche-t-il, au juste ? Un mystère à résoudre qui ferait mentir le constat objectif d’une existence sans enjeux ? Des explications fumeuses pour stabiliser un univers angoissant ? Et qu’importe que la voie à suivre puisse se trouver dans les paroles jouées en Reverse de l’album d’un groupe gothique ou au fond d’une boîte de céréales collector, si c’est ce qu’il a envie de croire? Riche en clins d’oeil et références à cette pop-culture qui se réinvente en permanence et donne le mouvement d’un monde qui a tué les religions et les idéologies et n’a rien trouvé de mieux pour les remplacer, ‘Under the silver lake’ semble nous dire que la réalité n’existe pas, que contrairement au mot de Phillip K.Dick, elle n’est pas ce qui continue d’exister quand on cesse d’y croire : au contraire, elle ne serait qu’une toile désespérément blanche sur laquelle on plaquerait sa propre réalité, ses angoisses, ses névroses, ses croyances et ses fantasmes, afin de lui faire prendre vie, comme une sorte de ‘Ready player one’ I.R.L. Ou alors, la vérité se trouve encore ailleurs...car le film est trop labyrinthique et confus pour susciter une analyse unique et rien d’autre ne peut corroborer ce point de vue que mon ressenti personnel : c’est le propre des Grands Films Malades, après tout.