Depuis « Intouchables », le duo Eric Toledano – Olivier Nakache est attendu au tournant, c’est un peu le prix à payer quand on a connu un succès colossal et que l’on a fait rire (et un peu pleurer) la France entière. Pour prendre un peu le contrepied de cette attente, les deux réalisateurs-scénaristes ont choisi de refaire un film choral, quelques années après l’épatant « Nos jours heureux ». Ils ont campé leur intrigue dans un lieu unique, le fameux château du XVIIème siècle (et sa capacité électrique limitée) et sur 36 petites heures. Faire évoluer des dizaines de personnages dans si peu de temps et d’espace c’est toujours difficile car la moindre baisse de régime de paie cash, le moindre personnage mal exploité se voit comme le nez au milieu de la figure. Il fallait donc proposer un film très dense, très écrit, il fallait multiplier les personnages et leur donnant une vraie partition à jouer, il allait surtout un rythme soutenu tout au long des deux heures du film. Et bien, de ce point de vue, « le sens de la fête » fait mouche. On ne voit pas le temps passer, par moment même on est presque emporté par le tourbillon de cette réception de mariage qui part en sucette qui rien ne semble pouvoir sauver du désastre. Même si la réalisation des deux compères n’est pas révolutionnaire, je souligne quand même quelques jolis plans, quelques petits jeux de lumière et un habillage musical réussit. Mélange de « musique de mariage » (pour la fête) et d’une bande originale agréable à base de percussion (pour les coulisses), la bande originale du film a presque l’importance d’un rôle ! Des rôles, parlons-en, il y en a des plus d’une dizaine et ils sont tous très écrits, parfois de façon anecdotique, parfois dans une certaine longueur mais ils ont tous leur importance dans la partition. Jean-Paul Rouve en photographe pique-assiette affublé d’un stagiaire de 3ème plus malin que lui, Gilles Lellouche en DJ-diva, Eye Heidara en assistante caractérielle, Alban Ivanov en serveur neuneu, ou encore Benjamin Lavernhe en marié fils à maman-tête à claque, tous apportent beaucoup au film avec leur forte personnalité et leur interprétation très juste (parfois un tout petit peu excessive mais on est dans une comédie). Finalement, au milieu de ce casting 3 étoile, Jean-Pierre Bacri fait office de chef d’orchestre. Il fait du Bacri mais c’est comme ça qu’on l’aime, on final : ronchon, un peu colérique, cassant et pince sans rire, il connait la partition et le joue sans aucune fausse note. Dans certaines scènes il n’a même pas besoin de prononcer la moindre réplique (il en a pourtant des dizaines et des dizaines d’excellentes à dire) pour faire mouche, l’expression de son visage suffit, comme dans la scène du « lâcher de ficelle » ! Le scénario n’est pas très compliqué, l’intrigue en elle-même est toute simple : montrer les coulisses d’une entreprise d’événementiel, qui doit composer avec les lubies, les demandes contradictoires, les exigences extravagantes, les lois du marché du travail, la logistique, la mauvaise humeur et la bonne volonté de chacun. Pour Max, ce mariage là pourrait être le dernier, vu qu’il a un contrat de vente en cours, et ce mariage là, c’est « ça passe ou ça casse ». Mais comme on est dans une comédie, c’est surtout une cascade de coups durs, de pannes, de problèmes techniques et logistiques qui vont se succéder. On peut penser de prime abord que cette accumulation d’ennuis est un peu excessive mais à y réfléchir, tout cela sonne assez crédible malgré tout. On rit beaucoup, souvent et même si tous les gags ne font pas dans la finesse, la plupart font quand même mouche sans problème. On passera pudiquement sur le côté « pauvre petit patron écrasé par les charges et traumatisé par l’URSSAF » qui peut faire un peu sourire jaune, parce là pour le coup, la finesse n’est pas vraiment au rendez-vous. Mais ce serait faire la fine bouche que de s’arrêter à cela, d’abord parce que je ne pense pas que ce soit le message principal du film, et aussi parce que tout le reste fonctionne et qu’il suffit de 10 minutes de film pour comprendre qu’on va faire le plein de répliques cultes, de réparties cinglantes, et que l’on va voir une galerie de personnage hauts en couleur, aussi exaspérants qu’attachants, tous et toutes, y compris l’imbuvable jeune marié à qui on a envie de gifler à chaque fois qu’il ouvre la bouche, et même quand il ne l’ouvre pas d’ailleurs ! Une comédie drôle, trépidante, qui offre une galerie de personnages truculents et qui n’oublie pas, de façon subtile, d’insuffler sur la fin une touche d’émotion, un soupçon de tendresse. Alors, sans qualifier leur nouveau film de « chef d’œuvre », on peut quand même reconnaitre que « Le sens de la fête » est une très bonne comédie, réussie et qui permet de passer deux heures très agréable au cinéma, au cœur d’un automne bien morose.