Avec Midway, Roland Emmerich plonge dans le chaos de la guerre une collection de minets tout droit sortis des magazines gays : avec leurs coupes soignées, leurs vêtements ajustés au corps, leurs poses rêveuses ou à la virilité provocatrice, les soldats sont des projections fantasmées qui tissent, en arrière-plan, des liens avec l’une des précédentes œuvres du cinéaste, Stonewall. Et ce qu’il y a de jouissif dans le film, c’est de voir se rencontrer deux univers antagonistes et qui doivent néanmoins s’imbriquer l’un dans l’autre : d’une part une camaraderie à toute épreuve, de l’autre la monstruosité pyrotechnique de l’Histoire que ces camarades vont écrire grâce à leur courage et leur effronterie. Aussi les scènes de bataille sont-elles rapportées telles des provocations impertinentes à l’égard d’un ordre que l’on veut voir plier : les avions font des loopings, tombent et remontent, semblent se défier des lois de la gravité pour notre plus grand plaisir. L’aspect quasi vidéoludique du long métrage appuie ce jeu constant avec la mort et offre un spectacle saisissant non pas de réalisme mais d’épique gonflé aux explosions, aux décollages dans des nappes de brouillard, aux courses-poursuites haletantes. Quoique les effets numériques soient omniprésents et parfois envahissants, Emmerich réussit à rendre ses scènes d’action lisibles, preuve d’un savoir-faire en la matière qui n’est plus à démontrer. On s’amuse, d’accord, mais cela ne doit pas masquer la grande noirceur de Midway qui n’épargne pas ses beaux petits soldats : des séquences de destruction massive transposent le goût pour la catastrophe futuriste dans un contexte lui bien réel. La guerre voit aussitôt sa représentation converger avec celle des invasions d’extraterrestres ou de l’engloutissement du monde. Et – chose passionnante ! –, l’œuvre constitue une étape supplémentaire dans la construction d’une filmographie en mouvement qui tend, au fil des films, à se rapprocher du chaos à échelle humaine : d’abord les monstres venus d’ailleurs, puis le monstre issu des essais nucléaires, ensuite la nature, enfin la menace humaine. Il fallait sauver le président il y a peu ; nous voilà immergés en pleine Seconde Guerre mondiale. Non que le cinéma de Roland Emmerich ait modifié ses thématiques privilégiées ; ce qui a changé, c’est la représentation du mal et de l’antagoniste qui de l’extraterrestre (comme métaphore de l’étranger en général) est passé au semblable, au frère, à l’homme et à la bêtise de ses actions. S’il n’est pas un grand film, Midway propose une vision de l’Histoire qui ne saurait se résumer au simple postulat « tout faire péter ».