« Le redoutable » rime avec insupportable, imbuvable, abominable, désagréable voire détestable, méprisable, minable. Je ne parle pas du film mais de Jean-Luc Godard. Le fameux, le grand Jean-Luc Godard, « the » référence ! En ce qui me concerne, il n’a jamais été ma tasse de thé. Beaucoup d’ennui dans l’ensemble. Sans doute, ai-je un esprit peu prédisposé à apprécier ce soi-disant maître. Si je n’estime pas Godard, je ne suis pas un vrai cinéphile ! C’est comme en littérature, il faut avoir lu les textes fondateurs. Godard, cinéaste fondateur ! Godard est un Auteur avec un grand « A ». Pas touche ! En parlant d’auteur, je préfère Peter Jackson à Godard : « Je n’ai jamais compris le terme d’auteur parce qu’un film c’est un énorme travail d’équipe. J’encourage l’équipe à contribuer au film autant que possible. Je crois que c’est ça le boulot d’un réalisateur, une sorte d’entonnoir pour que toutes les idées créatrices soient centralisées en un seul point de vue. » Dans ma jeunesse, je trouvais ça snob d’aimer Godard. Puis avec l’âge, je me suis aperçu que c’était plutôt snob de ne pas l’aimer. J’assume mon snobisme. Et encore ! Avec l’âge, je me suis aperçu qu’il n’était pas toujours apprécié dans son entourage professionnel. De quoi vous sentir un peu moins coupable ! Et un peu moins snob !! Par exemple, Truffaut (tiens un autre auteur !), compagnon de route de Godard au festival de Cannes 68 s’est fâché avec le Jean-Luc. Celui-ci aurait tenu des propos déplaisants sur « La nuit américaine » tout en lui demandant de l’argent au passage. Truffaut aurait rompu les ponts invectivant Godard de « n'aimer les gens que théoriquement et de se comporter comme une diva ». Il suffit de fouiller sur Internet pour s’apercevoir que ce soi-disant géant du cinéma a été toute sa vie déplaisant. On se souvient de ses propos envers Quentin Tarantino (tiens, tiens, un autre auteur !) : « un faquin ». J’ai comme l’impression qu’il a toujours dénigré ses fans. Surtout ceux qui ne font pas le même cinéma que lui ou ne partagent pas sa philosophie radicale du cinéma ; ceux soi-disant dénués d’imagination ou installés dans un cinéma de confort. Lui est au-dessus du confort, au-dessus de l’imagination, c’est le Robespierre du cinéma, c’est l’Être Suprême du cinéma ! Il crédite ce culte par les nombreux hommages consécutifs à cette époque dorée où toutes les récompenses lui souriaient. Bref, il est au-dessus des autres ! Je lui reconnais ce trait de caractère : doit-il nécessairement dire du bien envers ceux qui disent du bien de lui ? Son honnêteté peut passer pour de l’arrogance. Est-ce vraiment de l’honnêteté ? De l’arrogance ? Il est comme ça Godard et on a le droit de ne pas l’aimer. Et lui s’en fout du quand dira-t-on ! Et quelque part il a bien raison. Et je lui reconnais également sa soif de vouloir sans cesse trouver d’autres expressions cinématographiques. De maltraiter l’image, de torturer un scénario, si scénario il y a ! Le grand miracle du film de Michel Hazanavicius c’est que je n’ai jamais été irrité de voir Godard à l’écran. Au contraire ! J’ai vraiment apprécié le point de vue du réalisateur, je parle de Michel Hazanavicius. « Le redoutable » est une comédie légère, ce qui ne signifie pas superficielle. Son Godard passe bien. Les propos, certainement nourris du livre de sa compagne Anna Wasiemsky, confirment mon opinion sur ce cinéaste pompeusement prétentieux et restent digestes. Le ton employé permet de sourire ou d’arracher quelques brefs rires. La direction d’acteurs y est pour beaucoup et l’interprétation de Louis Garrel est remarquable. On sait que les deux hommes avaient une vision différente du personnage. Celle optée par le réalisateur fonctionne bien. A cela s’ajoute Stacy Martin, d’une fraîcheur roborative, émouvante aussi. Ses silences parfois en disaient long sur son ressenti. Il en est de même pour Bérénice Béjo dans le rôle de Michèle Rosier que j’ai trouvée juste dans ses regards. Sa colère dans la voiture qui ramenait la troupe de Cannes à Paris était réjouissante tant elle était vraie. Ca faisait un bien fou d’entendre sa rage. Cette scène cacophonique m’a touché, parce que réussie. D’autres séquences sont excellentes comme le sous-titrage des pensées de Godard et d’Anna. La mise en abîme de la scène de nu : Godard, nu, s’interroge sur la justification de la nudité à l’écran ; il s’interroge avec Anna également nue ! Avec Michel Hazanavicius, j’ai ri avec (son) Godard. Et c’était vraiment amusant. Comme cette dernière scène sur un énième travelling latéral, on entend un désaccord entre l’équipe du film de Godard et Godard lui-même lequel pris au piège sur la méthode adoptée Dziga Vertov ! Voilà un film étonnement plaisant sur un personnage déplaisant. Voilà la force de Michel Hazanavicius. Le réalisateur aurait pu nous pondre un film conventionnel. Il aurait pu en faire un brûlot ou un hommage angélique. Non, il nous conte un récit ponctuel, un moment de vie du cinéaste Nouvelle Vague qui se cherche une nouvelle voie cinématographique ; il ne nous épargne pas les propos tendancieux du cinéaste franco-suisse au sujet des juifs ; son arrogance envers les petites gens, envers son entourage professionnel, envers ses proches tout en nous en faisant un être lunaire presque sympathique dans sa forme. Pour terminer et pour le plaisir. Godard pas facile d’accès ? Quand on lui posait la question il répondit : « Eh bien, moi, c'est aux films d’Henri Verneuil que je ne comprends rien ! » Godard provocateur, sans doute. Godard arrogant, sans aucun doute. Godard assurément « Redoutable ».