Si vous ne le saviez pas encore, avoir reçu le don d'être un génie de l'écriture implique forcément le fardeau d'une âme torturée pendant toute son existence et "The Vanishing of Sidney Hall" va nous le démontrer une fois de plus en suivant sur trois époques distinctes et mélangées chronologiquement la vie remplie de malheurs de son écrivain fictif Sidney Hall.
On suit donc les années lycée du jeune Sidney (Logan Lerman) et les événements plus ou moins dramatiques qui vont conduire à l'écriture de son premier roman "Suburban Tragedy". Le livre deviendra d'ailleurs un best-seller mondial vendu à des millions exemplaires et on retrouvera Sidney quelques temps plus tard dans son nouveau rôle d'auteur à succès, ne sachant pas comment gérer cette soudaine célébrité qui détruit son mariage alors que le jeune homme souffre de plus en plus d'hallucinations issues de son passé. Et puis, un beau jour, Sidney Hall disparaît sans laisser de traces. Des années plus tard, un détective tente de le retrouver, persuadé qu'il est à l'origine de l'incendie de ses propres livres dans différentes librairies à travers les États-Unis...
Crevons d'ores et déjà le curieux abscès qui ne cesse de gonfler pendant l'ensemble du long-métrage : le regard profondément misogyne porté sur les personnages féminins qui en fait, à un moment ou à un autre de l'histoire, des caricatures castratrices juste bonnes à faire souffrir Sidney Hall.
La couleur est annoncée avec la lecture de la dissertation en ouverture où, pour volontairement choquer son institutrice, l'écrivain en devenir annonce à sa classe se masturber non pas sur l'image extérieure que renvoie son fantasme féminin mais sur l'innocence virginale qui se cache en elle. Ce drôle de leitmotiv ne quittera désormais plus le film.
Dès lors que vous êtes une jeune fille renvoyant à la naïveté des premiers émois, vous êtes épargnée, ce sera le cas des personnages d'Elle Fanning ou de Margaret Qualley lorsqu'une relation amoureuse naît entre elles et Sidney. Mais, du moment où vous passez du statut de "jeune fille" à celui de "femme", le film de Shawn Christensen vous considère instantanément comme un obstacle juste bon à entraver le bonheur de l'écrivain. Ainsi, le personnage d'Elle Fanning passe de la jeune fille en fleur rêveuse à une femme mariée glaciale cherchant à tout prix le conflit avec Sidney pour le tourmenter, de même, dès que la maîtresse incarnée par Margaret Qualley a envie d'une relation plus sérieuse, elle n'est plus vue que comme un nouvel élément cherchant à provoquer le malheur de l'écrivain. Dans la même lignée, la mère de Sidney (Michelle Monaghan) est une figure ô combien étouffante ayant annihilé la masculinité de son mari et voulant faire de même avec son fils, sa professeur de littérature est une vieille femme aigrie incapable de voir le talent d'écriture du lycéen, ... Bref, si vous avez le statut de "femme" dans "The Vanishing of Sidney Hall", vous n'êtes qu'un élément odieux cherchant à gêner le destin de son héros. À ce stade, on peut déclarer sans trop s'avancer que Shawn Christensen a un vrai problème avec la gente féminine car même la nature de la révélation finale qui aurait pu corriger le tir (la femme n'a pas d'autre choix que de s'extirper de sa figure d'innocence pour échapper au pire) est aussi complètement survolée et, au final, n'est là que pour servir Sidney Hall vers sa destinée de grand écrivain, une fois de plus...
À vrai dire, comme ce point précis, tous les éléments du film convergent pour nous narrer avant tout la vie et l'ego d'un auteur torturé empruntant ici et là à l'existence tumultueuse de noms littéraires célèbres. Des posters d'Oscar Wilde ou de Marcel Proust dans sa chambre d'adolescent à sa vie recluse en mode J. D. Salinger des années plus tard, tout est donc fait pour nous souligner le caractère de génie contemporain de Sidney Hall. La subtilité n'est pas forcément de mise et, par ses références, la finalité du propos est presque connue par avance mais force est de constater qu'on se laisse prendre au jeu, surtout dans la partie la plus postérieure avec sa confrontation avec le mystérieux détective à sa recherche. C'est d'ailleurs justement là que la carapace monstrueusement égocentrique de l'auteur à succès que nous avait fait apparaître la deuxième ligne temporelle (particulièrement faible par ses passages obligés face au reste et rendant son héros vraiment antipathique) commence à se fendiller à travers les échanges avec le personnage Kyle Chandler et laisse entrevoir une sincérité qui lui faisait cruellement défaut jusqu'alors.
De plus, même s'il apparaît artificiel pour simplement entretenir le mystère (le MacGuffin de la boîte, une astuce scénaristique qui ferait sourire tout bon écrivain), le parti pris de la construction chronologique du film permet de passer outre bon nombre de situations remplies de clichés en les éparpillant au milieu d'éléments plus intéressants et de nous intriguer jusqu'à son terme. Un procédé plutôt malin pour maintenir notre attention au milieu de scènes parfois trop connues surtout que "The Vanishing of Sidney Hall" n'a pas à rougir de la pléiade d'excellents comédiens qui le porte, de la solidité de sa mise en scène vectrice de nombreux superbes plans (la photographie de Daniel Katz en jette vraiment) ou de sa composition musicale signée Darren Morze.
Pour conclure, si le film de Shawn Christensen est loin d'être déplaisant à suivre, il n'en reste pas moins un objet cinématographique très inégal : souvent trop concentré sur l'égocentrisme de son héros (après tout, il est le seul responsable de ses propres maux) pour nous faire croire à son génie au milieu de figures féminines discutables et perpétuellement vues comme des obstacles, tirant parfois judicieusement parti de sa structure temporelle pour captiver malgré bon nombre de passages attendus et, surtout, nous narrant un énième récit autour de la vie pleine de malheurs d'un écrivain en permanence au bord du gouffre.
Mais, en définitive, le film passe sans doute à côté de l'essentiel : capter réellement la naissance d'une oeuvre amenée à devenir incontournable. Le film a beau en faire le tour de toutes les causes et conséquences de sa création, au final, il ne parvient jamais à lever le voile sur la raison qui a fait de "Suburban Tragedy" un chef-d'oeuvre littéraire capable d'influer sur la vie de ses lecteurs et, par là même, ce qui fait de Sidney Hall l'auteur de génie qu'on n'a jamais cessé de nous vendre. On aimerait lire "Suburban Tragedy" pour comprendre et vérifier... Dommage, il est fictif, comme tout ce qui l'a entouré...