"Sac la mort", quel titre bien audacieux ! Pas très commerciale comme approche pour le spectateur, qui comme moi, ignorais tout de ce que recouvre cette pratique... Quelques années avant sa mort, les chauffeurs de taxis parisiens surnommaient Serge Reggiani "la pendule" en raison de sa démarche claudicante lorsque tard le soir il rentrait alcoolisé. Le film d'Emmanuel Parraud suit les déambulations, les divagations de Patrice et de Charles-Henri, deux cafres réunionnais, c'est-à-dire deux descendants d'esclaves africains. Patrice est le héros de cette histoire. Nous nous immergeons à ses côtés dans le piège de son enfermement : où qu'il aille, il est poursuivi par toutes sortes de désagréments, d'ennuis, de complications. Pour lui, rien n'est simple. On ne sait si il est considéré comme un raté ou s'il se vit comme tel, ou peut-être l'autodépréciation se nourrit-elle du regard extérieur porté sur lui. Son passage en métropole a été une sorte d'échec l'invalidant durablement. L'alcool est le complément, qui aide à supporter, à survivre, à accepter cette vie sans grandes perspectives. Les ressorts politiques du film sont indéniables : du temps de l'esclavage, le rhum était distribué en rasades régulières aux esclaves pour leur donner du cœur à l'ouvrage. De plus, chaque soir, chaque esclave recevait un litre de rhum. Cela aide à dominer les masses, à étouffer dans l'œuf toute velléité de révolte. Tant Patrice, que Charles-Henri, ces deux-là crèvent l'écran de leurs présences. Que le film se déroule essentiellement en créole réunionnais ne gâche rien à l'affaire. Bien au contraire, cela en accentue la dimension poétique. Emmanuel Parraud porte un regard parfois ethnologique sur la Réunion, mais dire cela, c'est risquer de rater le profond respect qu'il a pour ceux qu'il filme. Nous ne regardons pas du dehors les personnages, peu à peu, ils nous habitent au fur et à mesure que l'intrigue se déroule. Qui perd la tête dans ces histoires ? Quelle est la frontière où l'on perd la raison ? Quelle place occupe la religion, les religions et les croyances au sein de cette île ? C'est l'un des fils, que tire le cinéaste. Mon seul regret est qu'il n'est pas filmé la disparition des sommets montagneux dans la brume matinale. C'est une caractéristique de la Réunion, qui aurait pu trouver sa place dans "Sac la mort". Les nuages filmés vers la fin du film ne montre pas ce phénomène si singulier, qui transforme la perception des reliefs sitôt passé dix heures du matin. Cette chape aurait connoté d'une charge supplémentaire les déambulations de Patrice, parfois appelé "Triste" par certains, comme s'il transportait déjà dans son prénom une charge mélancolique. Rendons hommage à ce beau voyage dans lequel nous entraine "Sac la mort" ! Précipitez-vous dans les quelques salles qui le projettent afin de découvrir la signification mystérieuse du titre, accordez-vous la surprise de la découverte. Les réunionnais présents dans la salle ce soir validaient cette présentation de l'île si lointaine de la métropole, qui voisine avec Maurice et Madagascar.