29 ans : Mehmet Can Mertoğlu est un tout jeune réalisateur turc et Album de famille, son premier long métrage, a été présenté à Cannes, dans le cadre de la Semaine de la Critique, en mai dernier. Un film qui, sans avoir l’air d’y toucher, avec un humour à froid qui fait penser à Kaurismäki, Jarmush ou certains réalisateurs roumains comme Corneliu Porumboiu, dit beaucoup de choses sur la Turquie d’aujourd’hui.
Sur une trame minimale, la vie de tous les jours de Bahar et Cüneyt Bahtiyaroğlu, un couple de quadragénaires citadins qui a adopté un bébé mais qui veut faire croire que c’est Bahar, l’épouse, qui a accouché de cet enfant, viennent se greffer de nombreuses scènes parlant de la société turque contemporaine, le plus souvent drôles ou virulentes quand elles ne sont pas, à la fois, drôles ET virulentes.
Pourquoi donc ce besoin ressenti par ce couple de réécrire l’histoire en faisant porter un faux ventre de femme enceinte à Bahar, en la prenant en photo dans cet état et en confectionnant un album de photos qui accréditera pour toujours sa situation de mère biologique ? Tout simplement, parce que, en Turquie, d’après le réalisateur, l’infertilité est vue comme un motif de honte, même parmi les gens les plus éduqués. En plus, cela permet au réalisateur de faire réfléchir les spectateurs à une autre forme de réécriture de l’histoire, celle que pratiquent de nombreux pays, dont, bien sûr la Turquie d’Erdogan.
A la vision de son film, on se dit que Mehmet Can Mertoğlu a une attirance très forte, voire même exclusive, pour les plans séquences et on a raison : en effet, le réalisateur affirme que, pour lui, l’utilisation des champs-contrechamps est très réducteur et représente le plus souvent une preuve de paresse de la part de ceux qui emploient ce procédé cinématographique.
C’est toujours avec plaisir que les cinéphiles accueillent un nouveau réalisateur, à la fois jeune et talentueux. On note soigneusement quelles peuvent être ses influences, tant au niveau de la forme que du fond. Mehmet Can Mertoğlu est turc, mais il se rapproche beaucoup plus du cinéma roumain que de son compatriote Nuri Bilge Ceylan. Face à ce premier film très prometteur, déjà couvert de récompenses dans de nombreux festivals, on ne peut que lui souhaiter une belle réussite et c’est avec une certaine impatience qu’on attendra les films qui vont suivre.