Pascal Laugier est souvent résumé à Martyrs, son deuxième film qui a fait du gore-porn 10 ans avant tout le monde avec un message mystico-jusqu’au-boutiste tellement malsain et taré qu’on en viendrait presque à oublier un deuxième tiers mollasson et le fait qu’il a été réalisé/produit en France. Autre fait notable, il s'agit d’un des premiers rôles au cinéma de Xavier Dolan, mais le seuil de l’improbable a toutefois été explosé quand il a annoncé Mylene Farmer au casting de Ghostland.
Disons-le directement, outre la présence de la flamboyante québécoise, Ghostland est plutôt très bon.
Deux mecs avec des jumelles infrarouges surveillaient d'éventuels indélicats cameramen amateurs dans le public de l’avant-première, non seulement parce que l’acharnement du fan club de Mylène à capter quelques images est plus flippant que tout ce que pourra tourner Laugier, mais aussi car son scénario Shyalamanesque mérite de garder son mystère intact.
Pour faire simple, une mère et ses deux filles adolescentes partent habiter une vieille maison à la déco pour le moins baroque, entre l’annexe abandonnée du musée de la poupée glauque et du muséum d’histoire naturelle section insectes, puis ça part en cacahuète en suivant la logique toute particulière d’un cauchemar éveillé.
« J’ai voulu filmer en live ce qu’il se passait dans la tête de Gustave Doré quand il illustrait du Charles Perrault » nous a confié le réalisateur, ambition rare et louable qui explique en partie pourquoi on en sort en ayant l’impression d’avoir fait un saut dans un mixer pendant 1h40.
Le parti pris de ce film, contrairement au reste de ses réalisations jusque-là, est que Laugier adopte un rythme et des effets effrénés pas loin du délire d’un Possession (1981, Andrzej Zulawski, à mater au moins une fois dans sa vie) ou d’un Evil Dead sans tomber dans l’hystérie d’un Conjuring 2, le tout baigné dans une photographie et une composition surchargée faisant du pied au Giallo de papa Mario Brava. Référencé, parfois un peu trop – cette scène qui fait penser à Shinning sort du récit – on ne reprochera pas au réalisateur d’être jusqu’à l’os un fana du cinéma dans lequel il s’inscrit. Son nouveau style, probablement sous-jacent de ses précédentes productions, est d’autant plus plaisant que l’on voit comment il réussit à reprendre en main son récit à chaque fois qu’il semble bifurquer à 180° dans une nouvelle direction.
Fini l’épure d’ailleurs, les plans claustrophobiques de la baraque au parquet qui craque comme une caverne d’ali baba bordélique et défraichie sont souvent remplis à ras bord, donnant au tout un aspect onirique noir. S’il ne vire pas directement dans le fantastique, le film traverse au pas de course une corde raide tendue entre réalisme et fiction, notamment à travers le personnage de Beth, mordue de Lovecraft et fan d’histoire d’épouvante. Le récit, simple mais présenté avec de nombreuses circonvolutions, ne prend son temps que pour mieux repartir comme Alice tombant dans son tunnel.
Alors forcément en osant tout, de l’ogre plangonophile au retour d’une icône des années 30 (non, pas le moustachu), Ghostland risque de laisser sur le carreau une partie de son public, d’autant plus que sans être insoutenable, il a ses flambées gores et qu’il se conclut de façon assez classique après une grosse heure touchant à l’expérimental. Reste qu’en l’état, il s’agit du meilleur film français d’horreur depuis – attendez je cherche –Maniac en 2012… Ah ouais ça date.