Cinq jeunes garçons adeptes d’ultraviolence et fous de Shakespeare comme d’autres sont dingues de Beethoven se retrouvent en séjour de réhabilitation pour leurs exactions, à la merci d’un capitaine sadique et de son chien sur un bateau puis sur une île mystérieuse, heureusement il y a Trevor pour les guider, leur Dieu de violence à la forme du crâne de diamant de Hirst. On va s’en tenir là pour le résumé, tenter d’analyser en cours de visionnage les garçons sauvages m’a fait le même effet que d’essayer d’arrêter avec mes tripes un train en marche.
Le premier film de Bertrand Mandico, après vingt ans de carrière et plusieurs dizaines de courts/moyens métrages, réussit le trip pop sado-maso à deux pas d’El Topo de Jodorowsky, Eraser Head de Lynch ou encore Belladonna d’Eiichi Yamamoto. Un produit transgenre halluciné, constamment agité d’une musique new wave (soundtrack de l’année/20) qui ressemble à un film subversif des années 60 rendant hommage aux années 30, visant bien plus à faire atteindre un état de transe psychédélique à son public qu’à se rattacher à toute forme de narration plus conventionnelle. Dix personnes se sont enfui à mi-chemin de la salle comble dans laquelle la projection à eu lieu, dix autres ont dû racheter un ticket dès le générique lancé. On adule ou on rejette en bloc, sans demi mesure possible. Il faut affronter le ridicule qui ne l’est pas tant du premier degré affirmé dans ses dialogues (enregistrés à part dans une diction suave murmurant à un micro crane), aussi sérieux qu’un vieux film catalogué science-fiction fauché regardé dans un demi-sommeil fiévreux. Ce microcosme ciné et bibliophile fait de sang, de pisse, de rhum et de carton pâte est, pour dire le moins, un parti pris atypique dans l’hexagone.
Les garçons sauvages impose d’emblée son anormalité en normalité, le travail sur l’image dans un noir et blanc stylisé jusqu’au capiteux avec ses fonds projetés fait de chaque plans une vignette portant ce récit étrange avec une créativité visuelle qui ferait passer pour aride la direction artistique du Dracula de Coppola. Dans ce furieux écrin rétro qui ne retombe jamais vraiment – on reprochera un troisième quart un peu mollasson qui est la seule trace des « erreurs » typique d’un premier film qui ne sait pas toujours où couper – Mandico épanche une soif d’île luxuriante peuplée de Docteur Moreau, de Vendredi et de tête de porc sur un pieu : Sa majesté des mouches en tête (le livre autant que le film de Peter Brook), l’île sauvage redevient ce territoire non civilisé dans lequel l’humain rencontre sa nature animale, mais la libération n’est pas que sociétale, elle est avant tout sexuelle… Bon de qui je me fous, on ne va pas prendre de pincette, j’ai rarement vu un film aussi énervé du cul !
C’est facile, allez sur la page « Liste de paraphilies » sur Wikipedia, prenez en vingt au hasard que vous listez dans un tableau de cinq colonnes par quatre et cochez à chaque fois que vous en voyez une à l’écran : on atteint le bingo avant la moitié du film. Plus révolté de la monogamie que du Bounty, nos garçons vont vivre ce récit d’initiation en hors-piste, périple tour à tour macho et féministe énervé où l’exploration de la sexualité et du genre devient un labyrinthe avec un minotaure à casquette de marin. Tout ou presque est une déclinaison d’organe génital, d’une voile de bateau aux allures de scrotum à des buissons à gambettes, et me poussez pas à épiloguer sur les bites d’amarrage ! Une esthétique allant du symbole signifiant à la grivoiserie régressive pour un résultat solide et homogène, qui fait des garçons sauvages le one-shot de génie décomplexé qu’il est : bien dans ses pompes et jamais à côté de la plaque, pour peu qu’on admette que son propos vient d’une dimension qui n’est pas la nôtre. Rien n’est crypto gay, tout est cryptique et gay, et la nuance est fine comme l’anatomie tatouée et mordue du capitaine est généreuse.
Reste que si l’expérience dans la terra incognita Bertand Mandico est hautement recommandable aux amateurs de cinéma expérimental, d’autant plus qu’il n’est pas cagneux et que la quantité de prouesses visuelles de même qu’un brin d’humour et de désinvolture en font un bonbon vénéneux particulièrement acide et plaisant, fruit (poilu ?) de milliers d’heures de travail et d’innovations maitrisées, je regrette (pour pinailler) qu’il ait échoué à faire en sorte que chaque garçon représente un caractère, comme le réussit le livre de Golding, résultant que seuls Anaël Snoek et Diane Rouxel arrivent à faire quelque chose dans les deux heures que mettent leurs personnages à ôter leurs masques. Quoi ? Des actrices ? Les filles sont des garçons parfois, l’anglais et le français sont alternés, le noir et blanc stylisé et la couleur délavé aussi, tout est bon pour brouiller les frontières.
Epuisant, enivrant, captivant, dégénéré, iconoclaste, impossible de rester insensible à la centrifugeuse Mandico qui déferle avec la force d’un cyclone tropical dans la séance de défeuillage d’une pub Tahiti douche. Obéissant à ses désirs : esthétiques, réflexifs, philosophique, vitaux et génitaux, la fable des Garçons sauvage fera date dans le culte du bizarre. A ne pas mettre dans toute les mains, ça colle en séchant.