Centaure est né d'une conversation entre le réalisateur et son producteur Cedomir Kolar, une fois Le Voleur de lumière achevé. Aktan Arym Kubat raconta à Kolar plusieurs histoires, dont celle d'un voleur de chevaux qui vivait dans son village : "On l’a attrapé, interrogé, rossé, mais il n’a jamais voulu avouer la raison de ce vol. Je pense qu’il voulait juste le monter pour sentir la vitesse, le vent… Cedomir m’a tout de suite dit que cette histoire l’intéressait."
A l'instar de ses précédents films, Aktan Arym Kubat filme son Kirghizistan natal et offre un nouvel instantané d’un monde encore traditionnel, dont il enregistre la lente disparition. Si le Kirghizistan était auparavant soumis à l'influence du système soviétique, le pays est désormais entré dans l'ère du capitalisme et les croyances laissent peu à peu la place à l'argent et la corruption.
Le réalisateur considère que ses trois permiers films (La Balançoire, Le Fils adoptif, Le Singe) forment une trilogie dont le thème central était "Je me souviens et j’ai mal". Il envisage Le Voleur de lumière, Centaure et, il l'espère, son prochain film, comme une nouvelle trilogie dont le thème est "Je vis et j’ai mal" : "ce que je vois dans mon pays me fait réagir et me fait mal. Je ne pense pas être le seul dans ce cas, les artistes en général réagissent ainsi. Et donc l’histoire, développée dans Centaure et qui parle d’un homme qui cherche Dieu, est comme une généralisation de mes propres souffrances, de ma douleur."
Le cheval a une place très importante dans la culture du Kirghizstan. Mais ce lien si fort entre l'animal et les hommes est en train de disparaître, comme l'explique le réalisateur : "dans notre langue, nos proverbes, notre philosophie, le cheval est présent. Dire que « le cheval est les ailes de l’homme », ce n’est pas seulement un dicton : je pense vraiment qu’un homme qui a un cheval est un homme ailé. L’homme et le cheval créent l’harmonie. Je pense que ces ailes, c’est là justement qu’est notre culture, notre tradition, qu’on a perdues : le cheval, la nature, la culture – c’est la conjonction de ces trois éléments dans laquelle nous vivions en harmonie. Auparavant, par exemple, on ne tuait le cheval que lors des enterrements, car il accompagnait le défunt dans l’Au-delà : le cheval était le passeur de l’âme. On le voit dans les fouilles qui sont faites aujourd’hui. Mais désormais on tue le cheval pour toutes sortes de fêtes : la circoncision du fils, la naissance d’un garçon, les fiançailles de la fille, l’anniversaire…"
Non content de mettre en scène Centaure, Aktan Arym Kubat y tient également le rôle principal. Une expérience qu'il avait déjà entreprise sur Le Voleur de lumière après la défection de l'acteur principal qu'il avait dû remplacer au pied levé : "Pour Centaure, j’ai eu envie de prolonger cette expérience. Certains ont pensé que c’était par ambition, mais pas du tout. Comme je l’ai déjà dit, je suis parti de mes émotions pour raconter cette histoire, de ma propre vie." Aktan Arym Kubat admet cependant qu'il ne se voit pas tourner sous la direction d'autres cinéastes car il ne se perçoit pas comme un acteur : "Je ne sais pas jouer ce que je ne vis pas, ce que je ne sens pas. Je parle à mon fils dans le film comme à mon propre enfant, je me comporte vis-à-vis de ma femme dans le film comme vis-à-vis de la mienne."
Dans Centaure, l'épouse du héros est sourde-muette. L'actrice qui l'incarne a dû apprendre la langue des signes pendant trois mois. Cependant, son mari communique avec elle non pas en kirghize mais en russe. En effet, la production s'est aperçue que personne ne sait parler aux sourds-muets kirghizes, comme en témoigne le réalisateur : "La seule langue sur laquelle les spécialistes de la région ont travaillé pour les sourds-muets est le russe. Ces derniers n’ont jamais appris à lire sur les lèvres le kirghize !"
On peut voir dans Centaure l'affiche et un extrait de La Pomme rouge du cinéaste kirghize Tolomouch Okeev. "Bien que ce ne soit pas mon film préféré d’Okeev, j’ai trouvé que cette séquence du couple à cheval habillé avec des vêtements typiquement kirghizes correspondait bien à mon propos. J’aurais pu montrer un film de Bresson, de Chaplin, un film indien – comme je l’ai déjà fait –, mais je voulais mettre en avant ma culture. Ils représentent en plus l’homme et la femme kirghize idéalisés" explique le réalisateur.