"Les humains polluent l'environnement afin d’étendre leur civilisation, et cet environnement pollué nous retransmet à son tour sa douleur. Dans un monde où le capitalisme matérialiste étend de plus en plus son emprise, l’humanité est menacée de contamination mentale et physique. Mon intention était de créer un poème visuel et nostalgique sur la nature en danger, tout en faisant des recherches sur les idéaux des sociétés primitives retrouvés dans le socialisme. En travaillant sur ce dernier acte de ma trilogie sur la pollution environnementale, j’ai été fortement influencé par les cinémas de Robert Bresson et Apichatpong Weerasethakul. À la surface, le film semble être un simple road movie à propos de Shon Sun, un sang mêlé qui quitte la ville pour se rendre dans un village tropical afin de trouver des réponses sur la disparition de son père. Mais le récit se fond peu à peu dans des images symboliques et contemplatives sur la pollution et la nostalgie, plutôt que de suivre une voie narrative classique."
Black Stone relate l’histoire d’une quête initiatique sur fond de thématiques encore taboues dans la société coréenne :
- L'identité ethnique coréenne, farouchement défendue et érigée en unité nationale, voire nationaliste : le peuple coréen ne serait qu’ « un » et tout ce qui ne serait pas coréen serait donc à rejeter (lourd passé d'occupations et de colonisations étrangères subies par la péninsule coréenne au fil des siècles).
- L'adoption : Ce sujet demeure une épine douloureuse dans la société coréenne, car il met l'accent sur l'incapacité des Coréens à regarder en face leurs problèmes, et les origines de ceux-ci : guerres, famines, relations illégitimes, naissances hors mariage, natalité non contrôlée ayant fait exploser les abandons d'enfants, et donc le nombre d'orphelins à adopter (plus de 200 000 enfants furent adoptés un peu partout dans le monde). Autant pour les parents adoptifs, que pour les enfants adoptés, il est difficile de s'intégrer dans la société lorsque la filiation ne se fait pas par les liens du sang.
- L'armée : il s'agit d'un passage obligatoire de la vie d'un jeune homme. Ce dernier ne peut y échapper et subit durant presque 2 ans diverses humiliations et exactions. Pour beaucoup de jeunes c'est une période traumatisante. Elle explique en partie que la Corée ait le taux de suicides le plus important parmi les pays membres de l'OCDE.
- La mentalité insulaire des coréens : bien que la Corée du Sud soit une péninsule rattachée au continent, la zone démilitarisée partagée avec la Corée du Nord et ses frontières littorales isolent les sud-coréens du reste du monde, leur permettant ainsi de se considérer comme des îliens à part entière. Ce pays resté ''ermite'' pendant de nombreux siècles fut découvert par des missionnaires étrangers qui manquèrent de se faire séquestrer et massacrer par ce peuple insulaire et uni. L'unité du peuple est aujourd'hui toujours présente (une langue, une monnaie, une culture, un pays = une île) et continue de donner lieu à des luttes diplomatiques tendues dans les eaux territoriales avec le Japon (cf l'île Dokdo). En un mot, les îles sont très importantes dans l'imaginaire collectif coréen, et sont un motif récurrent chez le réalisateur : lieu de retraite loin de la ville et des menaces, elles sont un havre de paix - mais saccagé par la pollution.
- L'écologie : Black Stone se réfère au naufrage du MT Hebei Spirit en 2007 non loin du port de Daesan sur la Mer Jaune, le long de la côte de la région de Taean. Le pays dût alors mobiliser des centaines de milliers de personnes (militaires, scientifiques, bénévoles...) pour récupérer les 10 500 tonnes de pétrole échappées du cargo et polluant alors les plus belles côtes sud-coréennes, où nombre d'oiseaux migrateurs venaient nicher. Cette catastrophe coûta plus de 300 milliards de Won (233 millions €) à l'Etat et nécessita la mobilisation de 21 500 personnes pendant 2 mois pour nettoyer les côtes. Ce fut le pire désastre écologique que connut la Corée du Sud. Tous ces sujets apparaissent comme des motifs récurrents dans la filmographie du réalisateur.