La première fois que j’ai vu Peau d’Ane, j’avais onze ans et c’était en fin d’année scolaire, à une époque où les films ne se voyaient qu’au compte-goutte, quand la télévision les diffusait ou qu’un professeur avait mis la main sur une bobine. Je me souviens encore de l'enthousiasme qu’avait provoqué cette première vision du film, même les garçons étaient sous le charme. Peau d'Ane raconte la rencontre d'une princesse blonde et belle comme le jour avec un prince insipide sous l'œil bienveillant de parents concernés par leur descendance. De ce point de vue-là, l'histoire ne diverge en rien des pré-requis du conte. Mais c'est là qu'entre en scène la malice de Jacques Demy :
cette blonde lisse a en fait bien repéré le prince et par un coup d'éclat de miroir dans les yeux, un anneau habilement glissé dans un gâteau et des œillades aguicheuses, le rend raide d'amour. Le père de la blonde princesse est quant à lui bien pervers, près à sacrifier l'avenir de sa fille et des enfants qui, issus d'un inceste, ne manqueraient pas de porter toutes les tares de la famille, pour assouvir son désir d'une belle femme. C'est sans compter, heureusement, sur une marraine fée manipulatrice qui elle-même a des visées sur le père en question et, sous couvert de la protéger, fera tout pour écarter la princesse. Enfin, personnage inoubliable, l’aboyeur bègue du château du prince enfile les contrepèteries comme les perles. On est bien loin de Perrault !
Au milieu de tout ça, des chansons aux paroles simples.
"Mais qu’allons nous faire de tant de bonheur,
Le montrer ou bien le taire,
Tous deux nous ferons de nos vies,
Ce que d’autres n’ont jamais su faire."
Sans musique, elles peuvent même paraître niaises.
"Nous ferons ce qui est interdit,
Nous irons ensemble à la buvette,
Nous fumerons la pipe en cachette,
Nous nous gaverons de pâtisseries."
Que Michel Legrand y ajoute une, deux, trois mesures de musique et les paroles insipides deviennent ensorcelantes.
Peau d’Ane est le film d’un visionnaire, cinq étoiles pour un chef-d'oeuvre.