Il observe la foule à travers la vitre de l’automobile qui le conduit jusqu’au Parlement anglais, là où, durant toute la durée du film, les ordres pour attaquer sont envoyés aux troupes alliées. De ces décisions, Anthony McCarten, le scénariste, sait donner de l’ampleur à chacune des paroles dites par un Gary Oldman saisissant, triomphant dans un rôle fait pour les prix, et en même temps pour la critique facile. Car reprendre un rôle historique, maintes fois déjà interprété, peut s’avérer être soit une chute, soit un succès, sans réel juste milieu. Mais sous cette carapace d’homme à la langue bien pendue et au caractère fort, Oldman excelle, imitant au mieux les mimiques et la façon d’être de Churchill, s’imposant parfaitement lors de discours ou de plaidoyers rugueux (le film en est rempli, armé de la voix qu’Oldman a tenu de rendre si proche de l’homme qu’il interprète) et presque enragés. Cette rage est aussi présente dans le souci de bien faire des équipes techniques, qui ont réussi un travail scénique réellement exemplaire, et ce des décors (répétés, mais jamais lassants pour autant, tellement qu’ils regorgent d’artefacts qui semblent posséder une vie propre, chose plutôt rare dans les films historiques) jusqu’aux lumières (la première confrontation face au Roi), en passant par tout le travail de documentation qui a permis à ces mêmes-équipes de compléter avec soin les maquillages et costumes des personnages (bien-sûr, pour cela, le personnage de Churchill passe avant tout le reste). Il y’a certes des faiblesses scénaristiques qui mettent en difficulté quelques fois le long-métrage : des personnages pas assez usités (Kristin Scott Thomas, dont le rôle, dans la précipitation finale et l’imbroglio des sentiments, passe à la trappe), une sur-exposition à l’émotion dans certaines scènes (celle du métro, qui semble forcée, ou celle de la révélation liée au frère de la secrétaire, prévisible) mais ces défauts, qui empiètent sur un long-métrage inégal de par son rythme et sa durée, se font oubliés le temps que la mise en scène parvienne à nous faire adhérer à son fonctionnement, toute en ordre des plans (travellings serrés, caméra fixe pour marquer la dramaturgie d’une séquence) et en symbolique brillante (le personnage de Churchill se retrouvant ici et parfois dans des lieux clos, seul et cerné par toute l’obscurité du hasard, au fur-et-à-mesure que les corps tombent). « The Darkest Hours » est un long-métrage à voir pour son sens du détail et du travail bien fait. Mais non pas seulement, aussi pour ses acteurs et ses situations poignants. On sort de la salle essoufflé, ébouriffé, transcendé par la force du film. Redonner ses lettres de noblesse cinématographiques au vieux lion et à l’opération Dynamo ? Chose faite.