Sur le papier, les films de Joe Wright n'ont jamais paru très sexy entre ceux qui ressemblent à des films à Oscars ronflants et académiques et ceux qui ont le cul entre deux chaises. On peut dire que l'annonce de son nom n'a probablement jamais fait rêver grand monde et il faut même reconnaître que certains de ses films se sont déjà brûlés les ailes sur leur romantisme exacerbé. Joe Wright est un metteur en scène de la grandiloquence et cela a déjà pu lui faire défaut surtout lorsqu'il avait entre les mains des scénarios qui n'avaient pas non plus la mesure de la subtilité. Mais Wright est aussi un esthète hors pair à ne surtout pas sous estimé qui arrive toujours à créer des étincelles de folie, même dans ses œuvres les plus maladroites, par l'élégance de sa réalisation. Son dernier fait d'armes, Pan, est un blockbuster ô combien maladroit et imparfait mais qui trouve son efficacité dans son énergie visuelle ludique et pour le moins inventive et originale. Wright étant de ces faiseurs de talent qui arrive à s'émanciper des impératifs d'un studio pour apporter une vraie identité à son travail.
Ici il s'attaque avec une certaine ferveur aux premières heures de Churchill en tant que Premier Ministre dans un contexte politique chaotique où tout était contre lui alors qu'il tentait désespérément de faire réaliser l'importance de la résistance face à la l'invasion allemande en Europe. Alors qu'on aurait pu s'attendre au biopic à Oscars des plus classiques, Darkest Hour va souvent déjouer nos attentes pour laisser transparaître un souffle de cinéma épique et finalement assez rare pour ce genre de productions qui succombent facilement à l'académisme paresseux. L'écriture a l'intelligence de ne pas trop s'éparpiller et reste sur la manière dont Churchill a assit son pouvoir en tant que Premier Ministre et poussé son pays à s'imposer comme la dernière ligne de résistance face au totalitarisme nazi. Dans ce choix de ne pas couvrir tout la Seconde Guerre Mondiale, on y trouve l'audace d'un récit qui se passe dans l'urgence, le protagoniste étant dans un bras de fer contre ses opposants politiques mais fait aussi face à une véritable course contre la montre avec l'avancée rapide de l'armée allemande en Europe. Même si on connait le dénouement et que les grandes lignes de l'Histoire sont connues, on reste quand même captivé par les événements et surtout pas le portrait dressé de Churchill. Espiègle, intelligent et grave, il se dresse en héros historique mais aussi en homme à l’étrangeté certaine qui ne sait pas vraiment comment se fondre dans le monde qui l'entoure. Grand orateur mais socialement assez maladroit, on découvre un homme profondément touchant et attachant à qui on rend admirablement justice à travers des dialogues finement écrits. Dommage par contre que le film ne sache pas trop quoi faire de sa vie de famille.
Que ce soit un passage évoqué cela semble nécessaire mais Darkest Hour laisse trop de place à cette famille laissé dans l'ombre du travail de Churchill, chose explicitement dite mais dont jamais le scénario ne se sert. On se retrouve donc avec une Kristin Scott Thomas tristement sous-exploitée en femme de Churchill. Pourtant elle partage des moments sincères avec son mari mais ceux-ci apparaissent vains au final et cassent le rythme du récit. Mis à part cela, le casting se montre globalement prodigieux, Gary Oldman en tête. La prouesse de l'acteur est de ne jamais se reposer sur le maquillage ou le simple exercice de mimétisme, tout deux bluffants, mais d'apporter un vrai travail de performance. Il apporte une émotion et une épaisseur admirable à son personnage, dans ses doutes et ses convictions, et il signe une interprétation saisissante et inoubliable de Churchill qui mérite tout les éloges. Les rôles secondaires ne sont pas en reste, surtout Ben Mendelsohn qui excelle dans le rôle plus effacé du Roi George VI mais qui ne se laisse pourtant jamais bouffer par Oldman et arrive à sortir son épingle du jeu dans des faces à faces souvent jubilatoires.
Il y a un amour de l'art qui transpire de chaque idées de ce Darkest Hour, Joe Wright fait de Churchill un monstre de cinéma ici et se confond avec lui au sein de son parcours. Tout deux parias au sein de leur profession, qui tentent de faire leurs preuves au sein de noms plus prestigieux et reconnus que les leurs. Joe Wright signe donc son film le plus personnel et le fait avec une inspiration et une ferveur qui laissent pantois. Rien que le plan aérien qui ouvre le film sur une assemblée en pleine dispute, et qui termine sur un panoramique pour montrer tout le chaos et l'effervescence de la scène, se montre vertigineux d'élégance et de maîtrise. Avec une photographie légèrement terne qui joue habilement des contrastes entre noir et blanc, où la couleur n'éclate que lors des moments fondateurs pour Churchill, et un score musical majestueux de la part de Dario Marianelli, Wright concocte des plans bourrés d'idées qui imprègnent la rétine dans des séquences malicieusement épiques à l'image des prises de paroles de son protagoniste. Privilégiant les longs travellings ou les plans aériens qui écrasent les personnages pour symboliser le poids de l'Histoire sur leurs épaules, Joe Wright signe sa mise en scène la plus classieuse et inspirée qui évolue habilement au fur et à mesure de l'ascension de Churchill, lui qui est au début écrasé par la caméra et qui finit écrasant dans de très belles contre-plongées.
Darkest Hour est un biopic d'une élégance folle qui ne tombe jamais dans la facilité de l'académisme et use de sa grandiloquence romanesque comme d'une force. Prenant, inspiré, tenu par des acteurs hors pair dont la performance incroyable de Gary Oldman, Darkest Hour s'impose comme un morceau de cinéma indispensable et épique qui atteint des proportions insoupçonnées. Joe Wright signe son film le plus personnel, et dans ce spectacle aussi touchant que drôle, il trouve une maturité nouvelle qui devrait enfin lui accorder la notoriété qui lui est dû. Comme son protagoniste, il quitte la scène triomphant sous une pluie d'applaudissement et assoit définitivement le sacre de sa victoire.