L’odyssée de Pig...
L’Histoire a ceci d’extraordinaire qu’elle peut se visiter. Des reliques, des traces, une présence. Comme si l’ombre des légendes planait sur celle des gens ordinaires. Et lorsque l’on se promène le long des exigus couloirs du Churchilll War Rooms, toute temporalité s’en trouve modifiée : une sorte de saut dans le passé où l’oppression mentale de Churchill se retrouve matérialisée par l’étroitesse de ces passages à mythe. Devenir, ou plutôt ressentir le temps d’une excursion l’urgence et la situation de l’homme providentiel. Des heures sombres, avant tout souterraines. Mais de cette déambulation dans le dédale du passé, ne reste que des figures immobiles, des mots lisses sur panneaux didactiques et des souvenirs encadrés. Une histoire sans vie et sans mouvement. Jusqu’à ce que Joe Wright s’empare de l’essence même de ce musée des merveilles, pour faire de ces statues de cire, l’immersive réalité du dernier rempart face à la tyrannie.
Et là où Dunkirk concentrait son immersion sur la mise en pratique d’une politique à travers des soldats à l’agonie, un compte à rebours et un espoir de survie, Darkest Hour emprunte sa force de la puissance du discours et de la minutie de sa restitution : au mutisme de l’expérience Nolan, se préfèrent les mots, transformés par Churchill en des balles invisibles aussi stimulantes pour le peuple que destructrices pour l’ennemi. De sa dramaturgie à retardement, la tension n’en devient que plus présente, importante (ou opportune), pour faire du politique un terrain glissant où la guerre se ferait sur tous les fronts : intérieure et extérieure, publique et personnelle, tout n’est qu’une question de résistance, de caractère et de défiance face au belligérant.
Joe Wright dresse ainsi le portrait d’un [Grand] Homme, assailli par les doutes et le temps : à cet avenir en sursis, du dilemme à la ténacité, entre liberté et sacrifice, le récit se veut catalyser par ses antagonismes, la volonté du Lion, tendre et féroce, symbole d’une nation préférant la victorieuse opposition à la lâche reddition. Et en cela, Les Heures Sombres est un film sur l’affrontement : de son ouverture où les clameurs aboient leur opinion à l’entêtement d’un guide refusant l’abandon, toute la dynamique repose sur l’adversité, le défi, et le soulèvement. Comme pour braquer les projecteurs sur ce Churchill, avançant et bataillant, malgré les obstacles. Un personnage dépeint avec complexité et humour, faisant de ses punchlines et de sa répartie, une arme autant qu’une peluche pour inspirer son peuple. Une œuvre comme une nécessaire réponse au Brexit : se raccrocher à Churchill dans un monde où les nations se repoussent, s’autodétruisent et se désistent du combat commun.
D’autant plus lorsque Churchill s’insère dans une rame de métro pour sonder et unir sa population. Une scène intense, un referendum direct et exaltant où la plèbe se rassemble derrière la question de l’abandon du combat à laquelle résonne une seule et même voix: « NEVER ». Et sous cette rhétorique de fer, les mots se mitraillent à une cadence impressionnante. Bavard, académique et théâtral, Les Heures Sombres l’est, mais pour le meilleur, pour l’éloquence de son Tout et la vigueur de sa réalisation. Il faut dire que Joe Wright est passé maître du cadre, en témoigne son sublime plan-séquence de Reviens-Moi. Une mise en scène d’orfèvrerie, où les raccords et transitions se font inventifs (d’un ascenseur dans l’ombre, à cette vue aérienne du front se muant en un cadavre de soldat) et les plans d’une absolue perfection.
Tout se veut constamment en marche, en effervescence, comme si la caméra représentait l’esprit en ébullition de Churchill. Une belle manière d’animer et de dynamiser ce « film un Oscars », au point de transformer l’œuvre conventionnelle et sans âme en un film percutant et astucieux. Et au cœur de cette maîtrise formelle, les interprétations ne viennent que renforcer la qualité et la solidité de l’ouvrage. Gary Oldman, sous les couches de prothèses et de maquillage, livre une performance colossale : de mimiques en intonation, il est Churchill dans toute sa prestance et sa fureur, jusqu’à son déchaînement inspirant lors de ces déclamations « cicérone ». Au second plan, et dans l’intimité de l’Homme, Kristin Scott Thomas excelle autant que Ben Mendelsohn dans sa subtile et parfaite incarnation de Georges VI.
De ce vibrant exercice de verbe et visage, ressort une incontestable maîtrise au service de sa dramaturgie. Même si l’ensemble peut se révéler parfois simpliste et conformiste, Darkest Hour n’en reste pas moins un morceau d’excellence où la figure tutélaire d’un pays se fait l’emblème de la Victoire sous l’évidente tragédie. Car du brio à l'interne bravoure, se décompte la politique des causes perdues. Et derrière l'arsenal des mots, se révolte un cerveau en mouvement. D’une Fenêtre sur discours, contempler l’homme sous l’escalier et lutter pour ne jamais capituler.
Le sous-sol de la peur…
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