Comme pas mal d’autres actrices et acteurs avant lui, Jonah Hill, après avoir affirmé son talent devant la caméra (par exemple dans des comédies régressives comme « Supergrave », mais aussi dans « Le Loup de Wall Street » de Martin Scorsese), se décide maintenant à franchir le cap de la réalisation, ce qui lui permet d’affirmer, dans une interview, qu’il a enfin l’impression, ce faisant, d’être lui-même. Or le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il démontre, avec ce film, autant, sinon plus, de capacité que quand il se produit en tant qu’acteur.
Souvent lorsqu’on réalise un premier film, on cherche son inspiration dans un registre que l’on connaît bien, on explore du côté de sa propre histoire. C’est sans nul doute le cas dans ce film qui se déroule dans le Los Angeles des années 90, là même où le réalisateur a grandi. Si le film n’est pas strictement autobiographique, il est, en tout cas, imprégné de l’expérience même de son auteur. C’est une des raisons pour lesquelles on est gagné, dès les premières scènes, en tant que spectateur, par une impression d’authenticité, de parfaite justesse du propos.
Tout jeune adolescent de 13 ans, le personnage central du film, Stevie (formidablement interprété par Sunny Suljic), ronge son frein aux côtés de sa mère et de son frère aîné, ce dernier lui prodiguant volontiers à la fois son mépris et ses accès de violence caractérielle. Surtout, Ian, ce frère aîné, interdit formellement à Stevie de pénétrer dans sa chambre en son absence, défense que bien sûr celui-ci enfreint dès que possible, d’autant plus que la pièce regorge d’objets qui le fascinent : matériel de sport et, surtout, cassettes et cd de musique dont il recopie, presque religieusement, chacun des titres dans un carnet.
Mais c’est ailleurs, hors du clan familial, que l’adolescent trouve ce qui lui convient. Ce qu’il ne peut trouver chez lui, il le cherche du côté d’un groupe de quatre garçons plus âgés que lui de deux ou trois ans (ce qui est considérable au temps de l’adolescence). Pourtant, malgré cette différence d’âge, Stevie parvient, sans trop de difficultés, à intégrer cette petite troupe ayant une passion commune, le skate. Pour faire partie de la bande, lui-même s’efforce d’acquérir un skate et de s’en servir avec autant de savoir-faire que possible. Il n’égalera jamais les prouesses de ses compagnons, mais ses efforts suffisent à le faire accepter par ceux-ci.
Auprès de ces garçons-là, Stevie ne se contente pas de faire des progrès en skate. Il est également initié à leurs codes, à leur langage fleuri, aux cigarettes, à la musique, etc. C’est aussi, bien sûr, grâce à cet environnement, si l’on peut dire, que l’adolescent connaît sa première véritable expérience sexuelle. Avec eux, avec la bande des quatre, il est même prêt à faire le casse-cou pour montrer de quoi il est capable. Jonah Hill compare ces rites d’initiation à ce qui se passe dans le règne animal quand « un petit se pointe et apprend à survivre et à se construire au milieu de la meute ».
Il y a de cela, en effet, mais il y a aussi ce qui différencie l’expérience humaine de l’expérience animale, le changement de regard. Et c’est en cela, à mon avis, que ce film atteint des sommets de finesse et d’intelligence du propos. Certes, on ne peut qu’être impressionné par la maîtrise fulgurante de la réalisation, par des mouvements de caméra stupéfiants, par une bande musicale du tonnerre, mais le plus touchant, c’est que tout ce talent de mise en scène est au service d’un scénario qui fait mouche et qui repose sur un point de vue ne manquant pas de pertinence. Car que nous dit le cinéaste, en fin de compte ? Que l’on a tort de trop rapidement cataloguer les autres ! Les jeunes qu’on voit évoluer dans le film, il est facile et tentant de leur mettre une étiquette dévalorisante du genre « racailles » ou « bons à rien ». Or, avec une subtilité qui n’est jamais prise en défaut, le réalisateur s’emploie à abattre ces préjugés.
La mère elle-même de Stevie, une mère qui a toutes les raisons d’exercer son mépris à l’égard de la bande qui a séduit son fils, finit par changer de regard, et c’est un des plus beaux moments du film.