Il y a eu, dès le départ de ce « Mid 90’s » ; quelque-chose qui m’a questionné.
Des skates. Des draps « Ninja Turtles ». Un T-Shirt « Street Fighter »…
Tout ça sentait bon le film nostalgique plein pot.
Un film de natif des années 80 qui entendait restaurer l’âge d’une jeunesse. Sa jeunesse.
Un simple témoignage sous forme de bonne grosse madeleine de Proust.
Un film qui donnait même l’impression de n’être que ça…
Et quand j’ai constaté que je me laissais prendre sans difficulté par ce film, je me suis du coup interrogé.
Car il se trouve que je suis du même âge que Jonah Hill, l’auteur de ce « Mid 90’s ». Et même si je n’ai pas passé mes premières années de vie à Los Angeles, beaucoup d’aspects de sa jeunesse me rappelaient la mienne. Et bien évidemment ça a titillé une fibre chez moi.
Un plan d’un gamin avec une manette Super-Nintendo en main et moi c’est tout un océan de sensations qui refleurit dans mon esprit.
Alors oui, je me suis demandé s’il suffisait qu’on soit la cible idéale d’un artifice grossier pour qu’on se laisse totalement bercer par lui ?
Ça doit être un peu le cas… Sûrement.
Mais pas que…
Parce que « Mid 90’s » n’est pas qu’un film nostalgique.
Il n’est pas qu’une broderie lisse et fade, prétexte à exposer toute une galerie de références susceptibles de parler à une génération bien définie.
Et j’en veux pour preuve le fait que j’ai découvert ce film sur les conseils de deux jeunes cinéphiles de seize ans. Des natives des années 2000. Des jeunes-filles pour qui la coolitude du skate est autant mystère que celle des pattes d’eph le fut pour moi.
Ce film a donc visiblement un véritable potentiel trans-générationnel. Et je pense que si c’est le cas, c’est parce que c’est dû au fait que « Mid 90’s » n’est pas vraiment un film sur le milieu des années 90.
Non. Je dirais plutôt de lui qu’il est en fait un film sur la jeunesse des années 90.
Voire même – mieux encore – je pense qu’il est avant toute chose le film d’une jeunesse.
Une jeunesse qui se pose comme une fenêtre ouverte sur toutes les autres…
N’oublions pas que le premier plan de ce film nous montre un jeune gamin s’exploser contre un mur.
Cadre fixe. Plan sur un couloir.
Intérieur ordinaire d’une maison populaire.
Format 4/3, comme nos bonnes vieilles télés de l’époque.
Un long silence et puis ce choc.
Ce gamin qu’on projette comme ça. Là-dedans. Sans ménagement ni préliminaire.
Un plan qui est au fond incroyablement signifiant de ce qu’on va voir de la vie de ce jeune Steven.
Au fond, sa jeunesse, on ne la choisit pas. On la subit. Et parfois même violemment.
« Mid 90’s », au fond, c’est ça.
C’est le parcours d’un gamin qui prend conscience d’où il est, de ce qu’est sa vie et de ce qu’elle sera sûrement.
Certes une vie dont le petit confort matériel est assuré. Mais une vie dans laquelle se semble s’offrir aucune possibilité d’exister, d’exprimer, d’explorer.
Alors Steven va se laisser prendre. Prendre par l’envie de s’affranchir. De repousser les limites. De ressentir des choses. Et cela même si ça doit se faire au prix d’une chute violente du haut d’un toit.
Sa vraie jeunesse elle est là.
Elle est dans cette idée qu’au fond on s’en fout de toutes ces règles qui nous stérilisent.
Fumer des clopes à 13 ans. Se casser les dents sur le bitume. Envoyer chier les adultes et les grands frères. Ça c’est rien à côté du fait de ne pas se sentir exister.
Et tous nos codes moraux s’envolent dès qu’apparait ce sourire radieux sur le visage du jeune Steven.
OK il crame la vie par les deux bouts, mais il est soudainement heureux, ce gamin.
Alors qu’est-ce que vous voulez trouver à redire contre ça ?
Et c’est là pour moi la grande force de ce « Mid 90’s ».
Cette capacité à nous affranchir des mœurs et des codes.
C’est un film qui entend témoigner mais sans se limiter au simple documentaire.
Chacun en pensera ce qu’il en voudra, mais ce film entend imposer cette réalité toute subjective : c’est que pour certains, cette culture-là, ça a été une porte ouverte pour se construire une identité, pour s’affirmer en tant qu’individu, pour se trouver une nouvelle famille, voire même parfois pour explorer sa sexualité.
« Mid 90’s » offre un témoignage plutôt qu’une leçon.
Il offre un regard. Un regard d’homme. Un regard d’artiste sur une période.
Un regard sur la jeunesse donc.
Ainsi ai-je appris à regarder – à travers ce « Mid 90’s » – cette période de mon/sa/notre enfance, non pas pour ce qu’elle était, mais pour ce qu’elle a laissé comme trace sur un individu qui, somme toute, ne représente que lui-même.
Mais si malgré tout ce regard si singulier me parle à moi – ancien enfant de la même génération mais terriblement plus sage que ce sulfureux Steven – et s’il parle aussi à deux jeunes adolescentes issues de la génération z, c’est parce que Jonah Hill, au-delà du simple fait de nous livrer son témoignage, n’en a pas pour autant oublié de faire du cinéma.
Ce cinéma qui donne à tout regard singulier une portée universelle.
Parce qu’au-delà de ses usages astucieux de la super 8 et du format 4/3 pour nous replonger dans la culture des années 90, Hill sait aussi jouer d’un véritable art du dépouillement qui est totalement au service de la transmission de son témoignage.
Un dépouillement dans le montage qui parvient à élaguer le superflu pour ne retenir que l’essentiel. Garantissant un film dense et vif, contracté sur une simple heure et demie.
Un dépouillement aussi dans les compositions de cadres et de la photo. Si le format 4/3 et l’espace anguleux offert par l’époque peut avoir un côté oppressif, il est compensé par des mouvements soyeux réguliers, des cadrages intimistes et une photographie chaude et douce. Les accompagnements sonores extradiégétiques sont très rares mais toujours pertinents, sachant appuyer ce qu’il faut pour qu’on soit réceptif au regard apporté par Steven sur tout cet univers là.
Au talent d’être sincère et honnête dans le fond, « Mid 90’s » nous offre donc aussi le luxe d’être habile et pertinent dans la forme.
Pas étonnant dès lors que ce simple témoignage sache embraser au-delà de son public cible.
Ainsi suis-je ressorti de ce film conquis.
Mieux encore, j’en suis ressorti plus riche.
Plus riche d’un regard.
Un regard sur une époque.
Un regard sur une culture.
Un regard sur une jeunesse.
Et l’air de rien, avec au fond peu de moyens et sur un sujet très intimiste, Jonah Hill m’a aussi rappelé une leçon pourtant centrale au cinéma : c’est qu’un film n’a pas besoin de faire grand-chose pour sublimer son art. Il lui suffit simplement de le faire avec justesse.
Mais bon… Après ça ne reste que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)