Pas loin des tropiques marines sont les moiteurs continentales, la Louisiane, qu’on se représente depuis "Autant en emporte le vent" comme une symphonie de verts, d’arbres géants et de lumière tamisée. On y ajoute un domaine cossu, d’immenses colonnes de style dorique, des robes de soies pastel et une vie religieusement rythmée et policée. On n’a pas besoin de savoir que ça se passe pendant la guerre de sécession, ni même où. Ça pourrait se passer dans un pays de la mythologie grecque. Sofia Coppola a excellé avec ce décor, dont on ne sort jamais. Elle y a mis des femmes –en fait, le domaine est un internat de jeunes filles, ou ce qu’il en reste, dirigées par une matriarche forcément (Nicole Kidman). Et c’est dans cette toile d’araignée qu’atterrit un beau jeune homme blessé (Colin Farrell). On ne comprend pas pourquoi ce n’est pas un homme d’honneur, mais ce n’est pas la faute au scénario, c’est la faute au roman (1966) dont s’inspire le scénario. Quoi qu’il en soit, ce beau jeune homme imparfait déride, attendrit, séduit, fascine, perturbe, envoûte tout le monde, comme le visiteur dans "Théorème" de Pasolini (Terence Stamp il y a 50 ans), sauf qu’il finira par repartir les pieds devant. Chacune finit par se retourner contre une autre et finalement contre lui. Ce film pourrait être un film d’horreur, que d’ailleurs il est pour beaucoup. Nous suivons avec Sofia Coppola toutes ces femmes, en proie à leurs désirs ou à leurs non-désirs (d’où le titre français du film "The Beguiled"), de la plus innocente à la plus frustrée, en passant par la craintive, la résistante. Jusqu’au moment où, l’éducation s’effaçant devant l’instinct (de survie mais pas que), elles se débarrassent, dépossédées ou rassurées, des restes de l’insecte vidé de sa vie. Sofia Coppola a eu le prix de la mise en scène à Cannes pour tout cela, on suppose, mais on s’interroge pour la direction de Colin Farrell, qui joue de façon curieuse et inattendue, sans trop de subtilité, comme chaotique… –bien qu’il soit aussi craquant qu’à ses débuts (exploit inégalé au cinéma). Le cas échéant, on peut se demander, presque avec impatience et fébrilité, comment Clint Eastwood jouait ce rôle dans la première adaptation de ce roman (1971), non seulement pour comparer sa performance, mais aussi à cause de la créativité de l’époque qui était à la fois dans la rupture des tabous sexuels, mais toujours dans le machisme.