« Ah ! Que maudite soit la guerre / Qui fait faire de ces coups-là », telles sont les paroles d’une chanson de Gustave Nadaud (« Le soldat de Marsala »), reprise, entre autres, par Francesca Solleville. Nadaud parlait d’une campagne de Garibaldi, mais sa chanson s’applique à toutes les guerres et, bien évidemment, à l’une des plus terrifiantes qui soient, celle de 14-18. Pour Paul (Pierre Deladonchamps), comme pour d’autres combattants de cette grande boucherie, tous les moyens sont bons pour échapper à la malédiction et à l’horreur, y compris la désertion. De retour auprès de sa femme Louise (Céline Sallette), le voilà donc contraint de se cacher dans une cave pour ne pas être arrêté et finir au peloton d’exécution. Jusqu’à ce qu’un événement survenu dans l’atelier de couture où travaille Louise donne à cette dernière une idée qui, quoique audacieuse, paraît d’abord heureuse avant de se révéler très funeste dans la durée.
Car Louise n’imagine pas les conséquences de sa suggestion : travestir Paul en femme afin qu’il puisse aller et venir sans se faire reconnaître ! L’idée semble folle, irréaliste et saugrenue. Pourtant, l’histoire est véridique, c’est celle de Paul et Louise Grappe, et elle a défrayé la chronique à la fin des années 20 quand elle fut révélée par la presse. Car, le plus surprenant, c’est qu’après avoir fait preuve de réticence non seulement Paul accepte de se travestir mais qu’il y prenne rapidement goût au point d’en tirer du profit en se prostituant. Plus rien ne semble pouvoir l’arrêter, il se trouve pris, englué, dans la supercherie, tout comme Louise qui ne cesse d’aimer cet homme sans être capable, pendant longtemps, trop longtemps, de mettre un terme à une effarante descente aux enfers.
Pour narrer cette histoire sur grand écran, André Téchiné, le réalisateur, a fait de bons choix. Il s’est gardé de tout excès de réalisme, préférant la suggestion plutôt que les images crues qu’on pourrait attendre de ce sujet. Un sujet qui, bien que paraissant scabreux, n’est pas du tout traité par le cinéaste de façon immorale, bien au contraire. Sans être jamais moralisateur, le film est totalement dénué d’ambiguïté : les options de Paul et sa trajectoire ne peuvent avoir d’autre issue que le drame.
Habilement intégrées dans le film, plusieurs scènes en disent long sur les évolutions d’un personnage qui, manifestement, se déshumanise au fil du temps. Une scène au cours de laquelle il est confronté à une des « gueules cassées » de la Grande Guerre le montre encore capable de compassion. Mais, plus tard, il n’apparaît plus que comme un pantin désarticulé qu’on se passe de mains en mains. Et son histoire invraisemblable le conduit même à être exhibé dans un cabaret, ce qui donne lieu à des scènes qui scandent le film et rappellent « Lola Montes » (1955) de Max Ophüls. Quant à Louise, fort bien jouée par Céline Sallette, son désarroi grandissant ne peut laisser personne indifférent. Elle est le personnage bouleversant d’un film qui ne manque pas de qualités. 8/10