Bon… Ça fait une semaine que j’ai vu ce film là et je ne sais toujours pas quoi en dire. Je ne veux pas tomber dans la diatribe gratuite, le défoulement cathartique, la critique facile et peu constructive… Mais bon… Ouah quoi… C’est chaud quand même… Je veux bien garder l’esprit ouvert à l’égard de ce cinéma qui, socialement, est très « segmentant » pour le dire poliment, mais avec ces « fantômes d’Ismael » - je suis désolé - mais c’est juste… trop. Le film est incroyablement bavard. Ça parle tout le temps. Et ça parle souvent pour s’écouter parler… Dès les premières scènes, le premier truc qui saute aux yeux (ou plutôt aux oreilles parce qu’à dire vrai les yeux n’ont pas grand-chose pour être stimulés) c’est qu’à AUCUN moment, on peut s’imaginer entendre parler des gens comme ça dans la vie de tous les jours. Non, là, on est dans une théâtralisation du verbe très accentuée et très affirmée, à la fois dans ce qui est dit et dans la manière dont c’est dit. Alors soit, c’est un genre qu’on peut vouloir se donner, mais bon, difficile du coup de rentrer dedans. Le pire c’est qu’au départ j’étais prêt à excuser ça en me disant « l’intro est sensée se passer dans une fiction inventée par le personnage principal donc pourquoi pas »… Mais bon, dès qu’on sort de la fiction c’est presque pire ! En soi, pour moi, ça c’est déjà à la limite du supportable, mais en plus il a fallu que ce soit atrocement mal écrit. Roh mais ces dialogues didactiques qui ne savent même pas cacher leurs effets de manche ! Mais sincèrement c’est épouvantable. « Mais pourquoi dites-vous cela beau-papa, vous qui vous êtes toujours demandé quel rapport étrange vous entreteniez avec Carlotta lorsque celle-ci était adolescente ? – Je le dis parce que je n’ai jamais compris pourquoi elle a décidé de vous épouser à l’âge de vingt-ans pour ensuite passer deux années de vie commune avec vous, Ismaël ! – Ah ! Mais vous savez très bien comment cela s’est fini tout cela. Après deux ans elle a disparu et c’est quand même moi qui ai été contraint de signer l’acte d’absence… » Alors OK, ces dialogues que je viens de vous faire ne sont pas exactement ceux du film parce que – pour être franc – les dialogues originaux se sont déjà totalement effacés de ma mémoire, mais en gros, c’est vraiment dans cette veine là que c’est dit. Or, là - encore désolé - mais on ne pourra jamais me faire croire que ça, c’est le summum de l’art de l’écriture ! Et le pire c’est que tout le film est comme ça ! Toute cette écriture en plus est au service d’une intrigue amoureuse assez indigente… J’ai lu que pour ce film Desplechin s’était beaucoup inspiré de sa vie ; eh bah franchement c’est bien triste pour lui quand-même... Parce que l’Ismaël, on nous le présente clairement comme un gars qui s’écoute parler dans des bars (…ce qu’adorent les femmes à croire le film) ; qui ensuite opère clairement du harcèlement en pleine rue pour monter dans l’appartement d’une fille qu’il a accosté (…mais ce qu’elles adorent malgré tout, toujours d'après le film !), et qui – tout le long de l'intrigue – se comporte et parle comme un gars qui a clairement un gros problème avec la bouteille (…mais ce que les femmes adorent encore et toujours !) Donc bon… Moi déjà, en termes d’empathie, j’ai eu du mal. Mais en plus, il a fallu que cette histoire repose sur un triangle amoureux dont les ressorts, pour moi, ne fonctionnent clairement pas. Le film pose quand-même le personnage d’Ismaël au cœur des enjeux (choix très égocentrique et pas très judicieux à mes yeux), et c’est donc au travers de lui qu’on se doit de ressentir le dilemme qui le tourmente. Le problème, c’est que là, le dilemme, il est tout tranché. On peut comprendre tout le contexte qui fait qu’Ismaël est émotionnellement à vif au sujet de Carlotta, mais d’une part le spectateur lui ne peut pas ressentir ce dilemme car Carlotta n'est d'abord jamais présentée en tant que personnage à part entière (On ne nous la montre même pas. Elle n’existe qu'en tant qu'idée, juste pour justifier la névrose d’Ismaël, seul personnage qui, dans ce film, a visiblement le droit d’exister) et puis, de deux, quand elle apparaît, qu’elle prend enfin chair à l’écran, elle nous apprend qu’en fait elle n’est qu’une pimbèche qui a préféré partir au loin pour fuir Ismaël (...ce qui n’est d’ailleurs même pas une découverte pour qui a vu la B.-A.) Bref, dans l’esprit du spectateur, je ne vois pas comment on peut s’approprier, ni même comprendre le dilemme d’Ismaël. Qu’il ait du mal à se remettre les émotions en place quelques jours, OK. Mais bon, après ça, au bout d’un moment, la raison a quand même le droit de prendre le dessus, non ? Bah non… Pas dans ce film. Pas chez Despleschin. Alors on va continuer à parler théatraleusement pendant des heures sur le mal-être du pauvre Ismaël, pauvre garçon incapable de gérer des émotions que la plupart des gens ordinaires maîtrisent vers l’âge de quinze ans… Bon, après on me rétorquera peut-être que les tourments d’un artiste, ça ne se dompte pas de la même manière, que c’est de la soie délicate, de l’or à l’éclat sans pareil, que ça nous éveille à la vérité subtile du monde qui nous échappe… Bah voyons... En tout cas, ceux qui comptaient venir pour voir du cinéma m’auront aussi sûrement compris : ce n’est clairement pas avec ces « Fantômes d’Ismaël » qu’ils se régaleront. D'ailleurs sur ce point, juste pour la blague : sachez que le film a été tourné en cinémascope et cela juste pour que 80% du temps on fasse des gros plans sur les visages et des travellings latéraux dans des pièces closes… Ouah quoi… Donc voilà… Si vous allez voir ce Desplechin, sachez que vous irez voir du théâtre filmé. Du « gros théâtre bien grossier » filmé. Ah ça c'est sûr : le gars ne vous trompera pas sur la marchandise. Ça parlera tout le temps, ça en fera des tonnes (avec la palme pour Amalric qui donne l’impression qu’il fait un AVC à chacune de ses répliques – des restes de son jeu dans « le Scaphandre et le papillon » sûrement…) et surtout ça s’atermoiera en permanence sur le « moi » ; le « moi » tourmenté, le « moi » qui a des vrais problèmes intéressants de « moi »… Aimera qui voudra. Je ne leur en tiendrai pas rigueur… Mais bon, il faut comprendre que pour des gens comme moi, qui ne se reconnaissent absolument pas dans ce type de cinéma (ni de personne), aussi bien dans le fond que dans la forme, ce genre de film, ça a autant d’intérêt qu’une séance visionnage des films de voyage du voisin… No offense, j’espère…