Dans "I, Tonya", il y a d'abord le "I". Outre le fait qu'il coïncide avec une narration à la première personne (chaque personnage donnant sa version de l'histoire), il fait état de l’égoïsme général qui touche tout le monde
(Tonya et sa carrière, Jeff et ses envies, Shawn désireux d'être pris au sérieux quitte à mentir, la mère de Tonya qui pense qu'à ses sacrifices (financiers, temps) et elle-même (elle veut enregistrer sa fille à son insu en l'amadouant))
mais disparaît étrangement quand il faut assumer les responsabilités
(la notion de "C'est pas ma faute" revient souvent dans la bouche de Tonya (le problème de lacet ou de patin), de Jeff (qui rejette le projet d'agression sur Tonya), de Shawn (qui blâme Jeff) et de LaVona (qui ne veut pas être accusée d'être à l'origine de certaines choses à cause de l'éducation qu'elle a donnée à Tonya))
. Ensuite, il y a "Tonya", protagoniste centrale dont la vie est dépeinte en 2 parties. La première, axée sur ce que les autres lui ont fait subir, adopte le registre de la violence trash, montrant que Tonya
a vécu avec une mère impossible (allure négligée (lunettes, perruques), mépris et critique permanents, dispute au couteau), un père vite parti, un mari qui la bat régulièrement et des juges dont l'avis est motivé seulement par le déterminisme social (Tonya est jugée en dehors des clous de l'américaine modèle, car pas assez gracieuse, faisant elle-même ses costumes et patinant sur du Heavy Metal; la scène d'énervement de Tonya face aux juges est excellente, tout comme l'aveu clair de l'un des juges)
. La seconde moitié du film bascule dans un autre style, à savoir la tragédie ubuesque et ironique qui pourrait s'apparenter à un film des Frères Coen
(des gens cons et insignifiants (le gars qui se tape la tête contre la vitre, faire des tours du mauvais bâtiment 2 jours de suite pour ne pas attirer l'attention!!!) impliqués dans un truc trop grand pour eux)
aux conséquences terribles
(Tonya est la victime collatérale qui paie plus que les autres (l'interdiction de patiner est prononcée à vie alors que les autres prennent juste de la prison) et échoue à son rêve des JO(8ème et souci de lacet))
. Ce que je regrette dans tout cela, c'est que le film n'évoque pas assez Nancy Kerrigan et ne souligne pas suffisamment l'ironie importante de la situation, à savoir que
LaVona avait raison (Tonya devait être gracieuse pour gagner, ne pas épouser Jeff, elle a fait d'elle une battante (symbolisée par la boxe rageuse à la fin))
. Sur la forme, la mise en place est un peu longue et trop dialoguée mais par la suite, j'ai adoré les apartés dans le récit (avec de l'humour politiquement incorrect), l'aspect "chacun sa version" est pas mal du tout et l'idée des interviews donne du cachet au film
(le grain de la pellicule, le format des images, les personnages vieillis)
. Pour le reste, la réalisation de Craig Gillespie met bien en valeur les moments de patinage et le choix de musiques de l'époque aux paroles résonnant avec les événements est plus que pertinent. Enfin, le film est porté par les prestations magistrales de Margot Robbie et Allison Janney, avec le toujours hilarant Bobby Cannavale en bonus. Au final, "I, Tonya" est un faux biopic acerbe sur le rêve américain, très bien interprété, rythmé et quasiment abouti aussi bien sur la forme que sur le fond.