Le genre Biopic n'est pourtant à la base, pas un genre de cinéma que j'affectionne particulièrement, pensant qu'il est incapable de réunir l'aspect intéressant et divertissant dans le même temps (mon expérience longue et ennuyeuse avec le "Saint Laurent" de Bertrand Bonello avec Gaspard Ulliel en 2014 par exemple ^^). Ce fut par la suite avec le magique et léger "Dans l'ombre de Mary - La promesse de Walt Disney" (2013) avec Emma Thompson et Tom Hanks qu'il s'est opéré en moi un petit regain d'intérêt progressif pour le genre, un genre qui finalement, pouvais me surprendre.
Revenu à la mode principalement depuis le début des 90's, ce que j'aime bien avec les Biopics, c'est qu'ils réussissent à créer/renforcer/entretenir un certain culte, un aura de "légende" autour de personnalités célèbres via le prisme de la caméra métamorphosant des personnes en personnages !
Depuis quelques années, l'une des grandes modes du Biopic tourne autour du milieu sportif, comme la Boxe ("Raging Bull" de Martin Scorsese en 1980, "Ali" de Michael Mann avec Will Smith en 2001, "Fighter" de David O Russell en 2010 ou encore "Foxcatcher" en 2014 avec Steve Carell et Channing Tatum), le Tennis avec les tout récents "Battle of Sexes" porté par le duo Stone/Carell et "Borg/McEnroe" emmené par Shia LaBeouf en 2017.
Cette fois avec "Moi Tonya", c'est à un autre sport que l'on s'intéresse (et qu'on aurait pas forcément imaginé comme digne d'un réel intérêt au cinéma), le patinage artistique !
"I,Tonya", biopic sportif et comédie dramatique réalisée par l'australien Craig Gillespie, plutôt inconnue au bataillon et à qui l'on doit juste quelques petits films sans renommée comme la comédie romantique "Une fiancée pas comme les autres" avec Ryan Gosling et Patricia Clarkson en 2007 ou le thriller "The Finest Hours" avec Chris Pine, Casey Affleck et Eric Bana en 2016, nous raconte l'histoire (adaptée de l'histoire vraie) de Tonya Harding, une jeune championne américaine de patinage artistique dans les années 80-90, célèbre notamment pour avoir été la première femme à réaliser un triple axel en compétition. Depuis toute petite, Tonya ne cesse de s'entraîner durement sans relâche pendant des heures sur la patinoire, soumise à l'autorité inflexible d'une mère sévère alcoolique et fumeuse qui n'hésite pas à la battre violemment, sans lui donner d'amour. Malgré les coups et les insultes de sa mère sous lesquels elle grandi, Tonya montre pourtant une détermination sans failles et continue année après année de se perfectionner, hélas, la jeune patineuse à beau enchaîner les exploits, les jurys ne semblent pas accepter ses origines modestes et ses goûts vulgaires, punks, de garçon manqué. Mais alors que Tonya allait participer aux Jeux Olympiques d’hiver de 1994, à quelques semaines de la compétition, sa rivale Nancy Kerrigan est froidement agressée et les soupçons se tournent immédiatement vers Harding et son mari. Seulement, Tonya est- elle vraiment coupable ? Pour quelle raison aurait-elle été poussée à agir ainsi ? Pourquoi Nancy a - t- elle été agressée ? Dans un milieu sportif médiatisé en plein effervescence, du résultat de l’enquête du FBI dépend la suite de la carrière de patineuse de Tonya.
Voilà pour le pitch global.
Verdict : Qui aurait pu imaginer que voir des jeunes filles les jambes a l’air, voltiger et tournoyer sur une patinoire puisse être aussi esthétiquement épique ?! Résultat des courses, nominé aux Oscars et aux Goldens Globes 2018 notamment pour Allison Janney en tant que meilleure actrice dans un second rôle et surtout Margot Robbie en tant que meilleure actrice, « I, Tonya » est un biopic réussi, aussi intéressant que divertissant, intense et poignant ! Le résultat hybride d’une fusion nourri de Clint Eastwood et de Damien Chazelle, au croisement bien dosé entre « Million Dollar Baby » (2005) et « Whiplash » (2014), une « petite fille » de « Rocky » en quelque sorte dans la passion du sport et dans le ton épique de la détermination. Le tout reposant essentiellement sur des séquences sportifs particulièrement réussies.
La séquence ou Tonya réalise pour la première fois un triple axel sur la glace. Le moment filmé en gros plan sur les patins puis en plan d’ensemble au ralenti ou Tonya/Margot décolle, quitte littéralement le sol pour « s’envoler » l’espace de quelques milli secondes, c’est tout le pouvoir du cinéma d’arriver à extraire, capturer visuellement l’extraordinaire de l’instant et à le styliser !
Mais « Moi, Tonya » ne se résume pas qu’à une simple embellie par le cinéma d’un sport artistique non, car Tonya c’est avant tout une histoire dramatique de violence et d’injustices montrant le côté élitiste et dénonçant l’aspect discriminatoire du milieu sportif face aux facteurs sociaux. Le film est criant de vérité car il réussit très bien à historiciser et à inscrire son histoire dans le vrai.
Gillespie donne une force, une vérité et une originalité à son biopic en empruntant habillement la voix du cinéma de témoignage. On retrouve dans « I,Tonya » ce vieux procédé théâtral de « Distanciation »que l’on avait dans les spectacles de Bertolt Brecht (1898-1956). Dans ce genre de spectacle, l’objectif est de briser l’illusion théâtrale et de déclencher chez le spectateur une attitude critique éveillée, le faisant réfléchir et remettre en question ce qu’il regarde. Chez Brecht, les acteurs sur scène n’incarnent pas leur personnage, ils le montrent et se montrent en train de le montrer. Une forme de Distanciation que « Tonya » semble bien reprendre ici et que Gillespie adapte cette fois sur grand écran et l’orchestre au moyen intelligent
d’images d’archives et d’extraits d’interviews authentiques des véritables personnes ayant existées. A chaque fois, les personnes commentent sois dans le champ sois hors champ par-dessus l’action en cours, l’action de leurs propres personnages dans le film. J’ai dis plus tôt que la faculté du Biopic était de transformer des personnes en personnages en transposant une réalité historique sur l’écran. Ici c’est encore bien plus complexe car nous avons les personnes devenues des personnages par les acteurs…et les personnes elles même commentant d’un point de vue extérieur des faits historiques !
Gillespie traite avec une très grande habilité la question du point de vue, interne/externe à l’histoire, la question du narrateur en switchant entre fiction et réalité pour confronter/superposer le point de vue à la fois du réalisateur, du spectateur/des personnages et des personnes intérieures/extérieures au récit filmique sur la réalité du scandale médiatique !
La prouesse du réalisateur est d’avoir réussi à aborder la question du point de vue au cinéma non pas par 3 entrées…mais par 4 !!
Bien entendu et avant tout, « I, Tonya » brille par la formidable performance de ses 2 actrices ! D’abord Allison Janney (« American Beauty » en 1999, « La couleur des sentiments » en 2011…) adorablement odieuse et détestable dans le rôle de la mère de Tonya et dont la sévérité envers Tonya rappellera beaucoup la dureté de l’impitoyable Terrence Fletcher, tyrannique professeur de batterie dans « Whiplash » campé par l’excellent JK.Simmons !
Mais celle qui crève l’écran c’est évidemment Margit Robbie, plus radieuse, plus éblouissante, plus brillante et déterminée que jamais dans un jeu d’acteur très solide (en témoigne le visage en sueur de la patineuse dans les séquences en travelling filmées en plan séquence, rapproché/d’ensemble/plongée…ou l’actrice enchaîne les sauts et tourne sans s’arrêtée comme si elle était en apnée) et une implication totale, le rôle de la championne de patinage artistique lui colle à la peau, elle était faîte pour ce rôle !!
La jeune australienne de 27 ans découverte avec « Le Loup de Wall Street » en 2013 mérite clairement sa nomination aux Oscars dans la catégorie de la meilleure actrice ! Et quel plaisir immense de découvrir que la jeune Margot dans un rôle sensible et sobre, un plaisir et presque un « ouf » de soulagement de savoir que l’actrice n’est et n’existera à l’avenir pas que par le rôle de l’excentrique clown féminin aux couettes bleues et au marteau du DCU ! On ne pourra plus jamais dorénavant affirmer que Margot Robbie est enfermée dans le personnage d’Harley Quinn de « Suicide Squad » (2016). En incarnant Tonya Harding, la jeune apprentie escrocs de « Diversion » (2015) nous révèle son grand potentiel, elle signe son entrée définitive dans la cour des grandes aux côtés des Emily Blunt, Jessica Chastain ect et coupe court à tous les préjugés la rabaissant à l’incarnation d’une icône de pop culture-comics. Définitivement NON, Margot Robbie n’est pas QUE Harley Quinn !
En définitive, « I,Tonya » est un excellent Biopic ; une histoire dramatique dans le milieu du patinage artistique entre Chazell et Eastwood englobé dans un divertissement « conscient » du cinéma de témoignage. L’ensemble sonne vrai grâce à un usage pertinent et bien comprit de la Distanciation Brechtienne et Margot Robbie tient ici son meilleur rôle pour le moment et la suite de sa carrière s’annonce clairement comme à suivre ! On retrouvera la « Queen Margot » prochainement dans un autre Biopic, cette fois tourné vers l’historique avec Saoirse Ronan, « Mary Queen of Scots » qui racontera la vie de Mary Stuart et sa relation avec la Reine Elizabeth, puis le très attendu « Once Upon a Time in Hollywood » de Tarrantino en 2019 avec notamment Brad Pitt et Leonardo DiCaprio ! ça promet !